Constitution du Royaume-Uni : des origines à nos jours

 

Le féodalisme anglais

(à jour au 1er décembre 2017)

par André Émond

 

Plan

Introduction : un monde né sur les ruines de l’Empire romain

1. Peuples germaniques de l’Antiquité

a) Structures sociales des peuples germains lors des premiers contacts avec l’Empire romain

b) Évolution des sociétés germaniques lors du déclin de l’Empire romain

2.Invasions germaniques du monde romain les Ve et VIe siècles

a)Création de nouveaux royaumes en Europe occidentale

b)Sociétés pré-féodales d’Europe occidentale

3.Vassalité et féodalisme

a)Relation de seigneur à vassal

b)Principaux caractères du féodalisme

4.Évolution de la féodalité en Angleterre aux XIe et XIIe siècles

a)Hérédité des fiefs

b)Hommage lige dû au roi

c)Prééminence de la justice du roi

d)Chevaliers : de guerriers à seigneurs

e)Transformation du service militaire en écuage

5.Déclin et disparition du féodalisme en Angleterre

a)Liens personnels entre seigneurs

b)Servitudes imposées aux paysans

Conclusion : apparition de l’État anglais entre les XIIIe et XVIe siècle

****************

Introduction : un monde né sur les ruines de l’Empire romain

[Par. 1] La Rome impériale a dominé la grande partie de l’Europe de l’Ouest pendant presque cinq siècles, du célèbre Jules César à Romulus Augustus, un enfant de 12 ans et le dernier empereur romain d’Occident déposé par le barbare Odoacre en l’an 476[i].

[Par. 2] L’empire des premiers Césars avait été une construction politique, sociale et économique extraordinaire. On y trouvait un peu partout de grandes cités avec leurs monuments, temples, bains et marchés publics. Des aqueducs les approvisionnaient en eau fraîche. Le commerce prospérait partout grâce des ports de mer et à des routes bien entretenues. Ce vaste réseau de communication maritime et terrestre permettait également à l’empereur et à son gouvernement d’administrer les vastes territoires sous leur juridiction et d’y maintenir la paix. Toutes ces merveilles, les joyaux de l’Empire romain, tomberont ou se dégraderont éventuellement, morceau par morceau.

[Par. 3] En réalité, le déclin de la Rome antique a commencé bien avant son dernier empereur. Dès le IIIe siècle, son territoire s’est graduellement atomisé en cellules repliées sur elles-mêmes, isolées les unes des autres par des forêts ou des terres en friche. Les principaux acteurs du déclin sont venus d’Europe centrale, principalement de Germanie[ii]. Ces barbares, comme les Romains appelaient tous ceux qui habitaient hors des frontières de leur Empire, multiplieront les incursions et dévasteront les provinces romaines d’Occident tout au cours du Ve siècle. Quand les barbares passent, les cités ne sont plus que décombres, a écrit le prêtre Paul Orose vers l’an 414[iii]. Il ne restera bientôt, en effet, que quelques vestiges de la gloire du monde romain. Et c’est sur ces ruines que l’Occident médiéval naîtra[iv].

1. Peuples germaniques de l’Antiquité

[Par. 4] Les coutumes des peuples barbares d’Europe centrale, avant leur migration, sont enveloppées de brouillard. Ce que l’on en sait vient des écrits des intellectuels grecs et romains des deux premiers siècles de l’ère chrétienne, surtout l’Origine et le pays des Germains de Tacite[v], mais aussi l’Histoire naturelle de Pline[vi] et le Manuel de Géographie de Ptolémée[vii]. Bien que les mœurs et les usages des peuples de Germanie différaient d’une population à l’autre, il est néanmoins possible d’en tracer un portrait très approximatif grâce à ces auteurs.

[Par. 5] On a décrit les germains comme étant de très haute taille avec les cheveux blonds et les yeux bleus. Leur éducation était apparemment rude et grossière. Monogames, ils étaient le plus souvent fidèles. Ils ne faisaient jamais de testament ; tous leurs enfants héritaient des biens de leurs parents. Habitant dans de petites cabanes rustiques séparées les unes des autres, leurs villages, en réalité des bourgades, n’étaient jamais protégés par des murs. Chacun abritait une centaine de guerriers et donc au plus un millier d’habitants. On y cultivait peu. D’ailleurs, les premiers germains décrits par Tacite, Pline et Ptolémée ne connaissaient pas la propriété individuelle de la terre. Ils vivaient surtout de la chasse et de l’élevage du bétail[viii].

a) Structures sociales des peuples germains lors des premiers contacts avec l’Empire romain

[Par. 6] Les hommes libres des sociétés germaniques étaient en principe égaux. Il existait néanmoins une noblesse héréditaire. Tacite a appelés ses membres des ducs ou decus en latin. Dans la langue des Saxons, on les appellera plutôt des gesiths, terme que nous continuerons d’employer à l’occasion par commodité. C’était en réalité des chefs de guerre. Chaque chef prenait dans sa demeure des jeunes gens qu’il nourrissait, éduquait et protégeait. Devenus adultes, ceux-ci formaient un groupe de compagnons d’armes, sa bande de guerriers, des partisans personnellement dévoués à leur seigneur. Les romains, tel Tacite, ont décrit cette institution par le terme comitatus[ix]. On dirait aujourd’hui fosterage en anglais ou compagnonnage en français. Cette bande de guerriers constituait la principale unité militaire et le fondement du pouvoir du seigneur au sein de la tribu.

[Par. 7] Un gesith continuait d’assurer sa prééminence en se montrant généreux. Loger ses compagnons, tenir pour eux des banquets grossiers mais abondants, leur donner des étoffes et des pierreries, les équiper en chevaux et en armes, boucliers et lances, constituaient les principales manifestations de sa générosité. En échange, le gesith s’attendait à ce que ses guerriers le suivent en toutes choses, notamment lorsqu’il fallait effectuer un pillage, voire entreprendre une guerre de conquête. Pillage et guerre étaient absolument nécessaires au chef d’une bande s’il voulait verser à ses guerriers ce qui leur tenait lieu de solde[x]. Cette redistribution périodique de biens empêchait les grands écarts de richesses entre les différentes tribus et maisons de gesiths.

[Par. 8] Les chefs se réunissaient fréquemment en conseil pour délibérer ensemble sur les affaires de routine, puis veillaient à mettre en œuvre les mesures élaborées en commun. Ce conseil des hommes les plus influents de la tribu agissait autant comme un organe de gouvernement que comme un tribunal en temps de paix[xi].

[Par. 9] Pour les questions plus importantes, les chefs débattaient des enjeux, s’entendaient sur les solutions, puis les soumettaient à tous les guerriers qui les acceptaient ou les refusaient. Cette assemblée de guerriers avait pour nom Thing, parfois Althing chez les peuples germaniques et scandinaves. Ses membres étaient les thingmen. Leurs rencontres avaient lieu périodiquement selon un calendrier déterminé, lorsque la lune commençait ou qu’elle était pleine. Une certaine solennité régnait. Après que les prêtres eurent ordonné le silence, les chefs les plus influents prenaient d’abord la parole, puis chacun se faisait entendre selon son âge, sa noblesse, la gloire acquise à la guerre et sa facilité de parole. On persuadait par son prestige, par l’exemple et l’admiration que l’on suscitait, plutôt qu’en vertu de son autorité. Les thingmen montraient leur désapprobation par un murmure et leur assentiment par le bruit de leurs armes s’entrechoquant[xii].

[Par. 10] Il n’y avait généralement pas de chef suprême ou de roi qui régnait sur toute la tribu. Toutefois, les chefs pouvaient élire l’un d’entre eux en temps de guerre pour les commander. Ils lui confiaient alors les pleins pouvoirs[xiii].

[Par. 11] Après le roi et les membres de la noblesse, les guerriers étaient considérés comme les hommes les plus importants de la tribu. Leur profession, respectée entre toutes, avait pour vertus la loyauté, le courage et l’habileté au combat. Pour un guerrier, il n’était pas question de gagner par la sueur ce qu’il pouvait acquérir par les armes. Il méprisait le travail domestique. Tout le temps que le guerrier ne passait pas à faire la guerre ou à entretenir les ponts et les ouvrages de défense, il le consacrait un peu à la chasse, mais davantage à manger ou à se reposer autour d’un grand foyer. Apparemment, ils supportaient tout, sauf la soif qu’ils étanchaient avec de la bière. Les femmes, les enfants et les esclaves, jugés inaptes au combat, s’occupaient de l’entretien des propriétés, de la garde du cheptel et de la fabrication des vêtements, car les guerriers méprisaient ces activités qu’ils jugeaient au dessous de leur condition[xiv].

b) Évolution des sociétés germaniques lors du déclin de l’Empire romain

[Par. 12] Dans la période précédant la chute de Rome, en 476, les peuples barbares d’Europe centrale, par suite d’un contact prolongé avec l’Empire romain, étaient devenus de moins en moins des sociétés égalitaires et démocratiques.

[Par. 13] Cela faisait presque trois siècles, depuis le règne de l’empereur Marc-Aurèle (règne 161-180), que Rome était continuellement assiégé par ces peuples du Nord. Il ne s’agissait pas seulement d’attaques, d’incursions militaires ; de nombreux barbares se sont installés en terre d’Empire avec armes, bagages et famille, d’ailleurs à l’invitation des Romains[xv]. En effet, en quête d’un mieux-vivre, attirés par la richesse et le mode de vie de leurs voisins, parfois fuyant des barbares plus cruels qu’eux, certains y ont trouvé refuge, alors que d’autres ont pris place dans les rangs des légions romaines afin d’y faire carrière. Plusieurs chefs germains ont conclu des alliances avec l’empereur pour garder ses frontières contre de l’argent, un appui politique et la protection des soldats de l’Empire. Le titre de roi (rex en latin) était alors parfois accordé aux chefs de guerre des nations barbares au service de Rome. Des tribus barbares se sont même constituées en États semi-indépendants à l’intérieur des frontières de l’Empire dès le début du Ve siècle. Les invasions barbares, qui ont mené à la chute définitive de Rome, ressemblaient donc tout autant à une migration et à une érosion consécutive du territoire de l’Empire sur une très longue période plutôt qu’à une conquête strictement militaire[xvi].

[Par. 14] Les peuples barbares du Ve siècle faisaient désormais partie du monde romain et leurs sociétés en avaient été transformées. Des monarchies quasi-héréditaires ont réussi à imposer leur autorité à toute des entités politiques beaucoup plus vastes que les modestes tribus d’origine. Ses chefs de guerre recrutaient désormais leurs guerriers sans égards aux liens familiaux. Au lieu de l’ancienne solde, chaque seigneur confiait souvent à ses guerriers des terres pour qu’ils puissent vivre à même leurs produits. Ces guerriers conservaient les terres reçues tant qu’ils demeuraient au service de leur seigneur. Ils ont formé à leur tour une nouvelle noblesse qui s’est consacrée exclusivement au métier des armes[xvii].

[Par. 15] Les différences entre barbares et romains demeuraient cependant très grandes. Et c’est de la fusion de leur société respective que naîtra le monde médiéval.

2. Invasions germaniques du monde romain les Ve et VIe siècles

[Par. 16] Les grandes invasions qui devaient bouleverser l’Empire romain d’Occident ont commencé la nuit du 31 décembre de l’an 405, lorsqu’une confédération plutôt lâche regroupant des Suèves, des Vandales, des Alamans et des Alains dirigée par le chef Radagaise a traversé le fleuve Rhin, puis est entrée en Italie. Elle a pillé et dévasté le nord du pays, jusqu’à la Toscane où elle a été arrêtée et défaite en août 406. Au même moment, les Wisigoths du chef Alaric ravageaient la Thrace et la Grèce, avant d’entrer en Italie à leur tour. Ils ont marché sur Rome et saccagé la ville pendant trois jours en l’an 410[xviii]. La nouvelle a stupéfié tout le monde romain. Saint Jérôme, de Jérusalem où il a appris la nouvelle, a écrit : « Horreur ! L’univers s’écroule… »[xix].

a) Création de nouveaux royaumes en Europe occidentale

[Par. 17] Rome n’a plus jamais été la même. Une série de raids s’abattront sur l’Europe occidentale. L’événement qui a fait date, au cours des années 451 et 452, a été le passage en Gaule et en Italie d’Attila et de ses hordes de Huns, un peuple de nomades et de formidables cavaliers venant de l’Asie centrale. Partout sur leur chemin, ils ont incendié, détruit, pillé et massacré les populations. Seules la faim et les maladies ont pu les stopper. Les huit empereurs, qui vont ensuite se succéder sur un quart de siècle, jusqu’à Romulus Augustus en 476, ne pourront venir à bout de l’anarchie qui s’enracinait ni empêcher l’édification de nouveaux royaumes barbares dans les anciennes provinces de l’Empire d’Occident[xx].

[Par. 18] Pendant que les Angles, les Saxons et les Jutes se sont installés en Bretagne, la future Angleterre (la terre des Angles), que les Wisigoths ont occupé l’Hispanie (l’Espagne) et que les Ostrogoths se sont rendus maîtres de l’Italie, le cœur de l’ancien Empire romain, Clovis, rois des Francs saliens puis de tous les Francs entre 481 et 511, a fondé un royaume franc qu’il a étendu à presque toute la Gaule, la future France (la terre des Francs)[xxi].

[Par. 19] Ces rois barbares chercheront à reprendre l’ascendant sur les peuples nouvellement soumis en se convertissant au christianisme. L’ambition universaliste du catholicisme romain aidant, quelques-uns, tels un Charlemagne et d’autres de tradition germanique qui à sa suite se coifferont du titre d’empereur, rêveront même de reconstituer l’ancien Empire romain d’Occident. Ce sera toutefois en vain. En effet, il manquait à ces monarques une conception de l’État, de la res publica, c.-à-d. de la chose publique, qui les a retenu de considérer leur royaume comme autre chose qu’une propriété et une source de richesses. Voilà pourquoi, après la mort du roi Clovis en 511, ses quatre fils se sont partagés la terre des Francs[xxii]. Une telle conception patrimoniale de la royauté a effectivement empêché toute continuité territoriale, toute permanence d’un royaume. Pour qu’un royaume dure, il faudra attendre la dévolution de la Couronne à un seul héritier par filiation directe, ce que l’on a appelée la coutume de primogéniture, coutume qui apparaîtra vers le XIIe siècle[xxiii].

b) Sociétés pré-féodales d’Europe occidentale

[Par. 20] On en ignore la date exacte, probablement dans les derniers jours de l’Empire d’Occident, mais c’est durant cette période qu’ont cessé l’entretien des voies romaines et l’acheminement du courrier par la poste impériale, qu’il y a eu rupture des flux commerciaux, puis délitement de l’État de droit et repli consécutif des populations, désormais isolées les unes des autres[xxiv]. Dans un monde déjà appauvri, sous-alimenté et affaibli, une première grande vague d’épidémies de peste venue d’Orient, en l’an 543, a achevé l’entreprise de destruction commencée par les barbares. Elle fut un véritable fléau : il y a eu tant de morts que les vivants ne suffisaient pas pour ensevelir leurs proches, a raconté l’historien du VIIIe siècle, Paul Diacre[xxv]. Villes et campagnes se sont massivement dépeuplées. Seul le souci d’assurer leur sécurité a empêché la trop forte dispersion des habitants et le maintien de communautés, quoique de taille plus modeste[xxvi].

[Par. 21] Un tel recul de civilisation était alors inconnu : régression technique, régression des mœurs et régression de l’administration allaient de pair. Le bois a remplacé la pierre qu’on ne savait plus extraire et travailler. L’art de fabrication du verre a disparu. On a assisté à un déchainement de violences sans fin dont les plus grands responsables étaient souvent les plus hauts placés, ceux qui exerçaient l’autorité civile et religieuse. Grégoire, évêque de Tours à la fin du VIe siècle, a déploré qu’il s’était commis beaucoup de crimes en ce temps là : « Chacun voyait la justice dans sa propre volonté, et agissait sans redouter aucun frein », a-t-il remarqué[xxvii]. Les routes étaient désormais en fort mauvais état et peu sûres. Voyager était donc devenu risqué. Sauf pour fuir la misère ou aller en pèlerinage, rares étaient les hommes qui continuaient à se déplacer hors de leur village et des quelques modestes bourgs restés debout.

[Par. 22] Les premiers rois barbares du royaume des Francs, la dynastie des Mérovingiens, ont continué de lever des taxes sur les propriétés foncières, comme autrefois les Romains, mais non sans difficulté. En effet, des révoltes ont éclaté un peu partout pour s’y opposer. Grégoire de Tours a raconté comment, déjà en 584, le roi des Francs Chilpéric Ier avait brûlé tous ses registres et défendu à l’avenir de lever ces impôts, un engagement respecté par son fils et successeur Childebert[xxviii]. Bientôt perçue comme étant illégitimes, les rois mérovingiens cesseront définitivement de percevoir quelque impôt universel dès le tournant du VIIIe siècles[xxix]. Les revenus de la Couronne se sont bien sûr taris. Pour toutes sources de richesses, le roi dépendait dorénavant du seul domaine qui lui appartenait en propre. Son trésor appauvri ne contenait plus que quelques caisses de pierres et de métaux précieux. Il lui a dès lors fallu penser à organiser autrement l’administration de son royaume.

[Par. 23] Avec aussi peu de ressources, et le nombre réduit de ses serviteurs, le roi barbare a abandonné l’idée de gouverner en monarque absolu, tel l’ancien empereur romain de l’Antiquité. Bien qu’il ait continué d’incarner l’autorité suprême, il n’a eu d’autre choix que de confier la gestion de portions de son territoire à des seigneurs de rang inférieur, ducs, comtes, évêques et abbés, à qui il demandait de lui promettre fidélité[xxx]. Grégoire de Tours a néanmoins raconté à quel point la valeur de ces belles promesses dépendait parfois de la crainte que le roi continuait de leur inspirer[xxxi].

[Par. 24] Les régions sous l’autorité des seigneurs sont conséquemment devenues des entités politiques quasi-autonomes. On y trouvait que la campagne et quelques bourgades. Les paysans ont donc représenté le cœur du monde médiéval. Ils sortaient peu. Ce qu’ils considéraient comme leur pays se réduisait le plus souvent à ce qu’ils voyaient, aux chemins qu’ils parcouraient dans le quotidien. La royauté était pour eux une réalité fort lointaine ; leur seigneur local, celui qui logeait dans le manoir ou le château tout près, était le seul qui comptait désormais, car de lui dépendait leur sécurité en cas de danger en l’absence d’un État fort pour les protéger[xxxii].

[Par. 25] Le roi de cette nouvelle Europe ne pouvait aisément gouverner un vaste territoire en usant de la contrainte. Un des moyens pour tenir son pays était de le chevaucher sans cesse en tous sens avec ses quelques troupes de mercenaires[xxxiii]. Un autre moyen était de refonder ses relations avec sa noblesse afin de s’assurer de leur loyauté. Comment ? En l’achetant ! Pas avec de l’argent, car celui-ci manquait en l’absence de moyens de taxation, mais plutôt avec des terres. Au début, le roi a accordé aux gens qu’ils voulaient s’attacher les quelques rares postes disponibles au sein de son administration. Toutefois, la multiplication des confits armés au cours des VIIIe, IXe et Xe siècles l’ont obligé à mettre en place une véritable organisation de défense mutuelle, reposant toujours et presqu’exclusivement sur l’octroi d’une terre. C’est ainsi que le féodalisme est né[xxxiv]. Le statut de noble ne dépendait plus tellement alors du poste que l’on occupait, mais essentiellement de l’étendue de terre que l’on possédait.

[Par. 26] Les royaumes des premiers temps de l’époque médiévale ne possédaient aucune administration centrale digne d’un État : pas de levée d’impôt universel ; pas d’organisation judiciaire ; pas de représentants du roi dans les régions. Un empereur ou un roi emportait avec lui son gouvernement à dos de cheval ; là où il se trouvait, là était son gouvernement et sa capitale[xxxv].

3. Vassalité et féodalisme

[Par. 27] Le VIIIe siècle a donc vu apparaître cette nouvelle société fondée sur ce que l’on a appelé le lien vassalique. Son premier exemple connu date de l’année 757 et concerne le duc Tassilon de Bavière. Éginhard, un érudit qui a servi à la Cour des rois carolingiens, en a fait le récit :

[Par. 28] Tassilon, duc de Bavière, s’y rendit (à Compiègne) avec les premiers de sa nation, s’y recommanda, entre les mains de Pépin, en qualité de vassal, selon la coutume franque, et jura, sur le corps de saint Denis, fidélité, non seulement au roi, mais aussi à ses fils Charles et Carloman[xxxvi].

a) Relation de seigneur à vassal

[Par. 29] Vassal, vassalique et vassalité sont des termes d’origine celte. Ils ont apparemment pénétré le latin vulgaire de la Gaule romaine où on s’en est servi pour parler d’un jeune garçon, mais aussi d’un valet, celui qu’un maître avait constamment autour de lui. On disait alors mon vassal comme on dirait aujourd’hui mon gars. Le sens s’est modifié après la chute de l’Empire romain pour désigner le membre de la garde d’une maison, puis d’un homme libre tout à fait respectable qui louait ses services à un seigneur, tout en s’unissait à lui par un contrat librement consenti. La nouvelle recrue jurait alors fidélité et obtenait en retour un bénéfice matériel ainsi que la protection de son seigneur. Le statut social du seigneur rejaillissait sur son protégé qui gagnait non seulement sa protection et le bien promis mais également considération et prestige[xxxvii].

[Par. 30] Charlemagne (règne 768-814) est celui qui a généralisé les pratiques vassaliques pour maintenir le contrôle de ses hommes et de son royaume, puis de son nouvel empire, un projet impossible à réaliser directement sans le lourd appareil administratif qui lui faisait défaut. Il a alors multiplié les cessions de terre pour servir de bénéfice à ceux dont il voulait s’assurer la fidélité et s’engagea à les défendre. La terre cédée par le roi à son vassal l’était cependant sous condition : en échange, le roi a exigé une aide militaire, des guerriers que le vassal devait fournir à son appel pour servir dans son armée. Il a en outre encouragé ses vassaux à créer d’autres liens de subordination avec des seigneurs de rang inférieur, autrement dit à les faire entrer dans leur propre vassalité. Tous devaient ainsi se mettre sous la protection d’un seigneur plus fort qu’eux[xxxviii].

[Par. 31] Au début du XIe siècle apparaît le terme technique qui sera éventuellement retenu pour désigner la terre cédée en remplacement du terme bénéfice : on a dit le fief. On le trouve une première fois dans les Livres de fiefs (Libri feudorum en latin), une compilation du droit des Lombards, le peuple germanique qui a occupé l’Italie après la chute de l’Empire romain[xxxix]. Son usage ne se répandra cependant qu’au XIIIe siècle. Nous l’emploierons néanmoins par commodité, car il a donné naissance à un vocabulaire d’usage courant aujourd’hui, nommément les termes de féodalité et de féodalisme pour décrire la société d’alors.

b) Principaux caractères du féodalisme

[Par. 32] Si l’on résume, au sommet de la pyramide sociale trônait le roi, propriétaire des terres de son royaume. Le roi ou l’empereur en confiait une partie à ses vassaux, des tenanciers en chef, qu’on a appelés barons en Angleterre, ducs ou comtes en France. Il conservait le résidu pour se constituer une réserve qu’il exploitait personnellement. C’était sa principale source de revenus. La terre concédée au baron anglais était une baronnie, alors qu’en France il s’agissait d’un duché ou d’un comté, selon le titre porté par le seigneur qui la recevait. L’action du roi, lorsqu’il donnait ainsi une terre à un vassal pour qu’il la tienne en fief, se nommait l’inféodation. Elle garantissait au tenancier en chef la possession de sa terre. Pour donner foi à son engagement, le roi lui promettait la protection de ses armes ainsi que de sa cour de justice, car être le seigneur d’une personne comportait le droit de lui rendre justice[xl]. En échange, le tenancier en chef encourait des devoirs envers le roi, des prestations vassaliques, qui étaient différentes formes d’aide en espèces (argent sonnant) ou en nature (des services).

[Par. 33] Parmi les aides dues au roi, certaines étaient de nature exceptionnelles. Chaque tenancier en chef devait notamment contribuer au paiement de la rançon du roi lorsque son souverain était retenu prisonnier. Le roi pouvait également exiger de lui une contribution pour financer une croisade en Terre Sainte, doter sa fille aînée lors de son mariage ou encore équiper son fils aîné lorsqu’il était fait chevalier. Le tenancier en chef encourrait aussi l’obligation de conseiller son roi en participant aux assemblées qu’il convoquait, notamment pour siéger en tribunal afin de rendre la justice[xli]. Mais l’aide la plus importante était sans contredit le service militaire. Pour un tenancier en chef, elle consistait, outre sa présence dans l’armée du roi, à fournir les services d’un certain nombre de chevaliers selon l’importance de son fief. Les tenanciers en chef et leurs chevaliers, à l’appel du roi, devaient servir dans son armée pour une durée totale de 40 jours par an d’après les vieux droits germaniques[xlii], une coutume qui sera observée en Angleterre après la conquête de ce pays en 1066 par Guillaume de Normandie[xliii].

[Par. 34] Un tenancier en chef jouissait des mêmes droits à l’égard de ses propres vassaux[xliv]. Il reportait d’ailleurs sur eux le coût de ses obligations envers le roi, que ce soit le versement d’impôts ou le service militaire.

[Par. 35] Afin de fournir le nombre de chevaliers prévus dans son contrat vassalique avec le roi, le tenancier en chef, duc, comte, baron, évêque ou abbés, pouvait soit payer directement ses guerriers, soit leur confier à son tour la possession d’une terre en fief, on disait alors les chaser. Tout comme le roi s’était lié à ses tenanciers en chef par un engagement pris sous serment, le tenancier en chef se liait donc de même façon à ses propres vassaux. La terre qu’il concédait au chevalier était appelée une chevalerie ou un fief de chevalerie. Redonner ainsi la possession d’une partie d’une terre déjà reçue en fief s’appelait la sous-inféodation. Une terre cédée en fief de chevalerie, où le chevalier exerçait tous les droits du seigneur qui l’avait chasé comme celui de rendre la justice, lui permettait de s’équiper pour la guerre, comme de le loger et de le nourrir avec sa famille sa vie durant[xlv].

[Par. 36] À l’exemple du roi, le duc, comte, baron, évêque ou abbé conservait également une partie de sa terre pour se constituer une réserve, un domaine qu’il faisait fructifier pour en tirer un revenu.

[Par. 37] Quand Guillaume de Normandie a conquis l’Angleterre en 1066, il a imposé à ses vassaux de tenir à sa disposition plus de 5 000 chevaliers équipés. Le nombre précis, pour chacun d’entre eux, dépendait du roi seul ; il variait de quelques-uns à une centaine d’hommes. Beaucoup de tenanciers en chef ont alors chasé les chevaliers qu’ils devaient à l’armée du roi.

[Par. 38] Vers 1086, l’Angleterre comprenait à peu près 1 400 tenanciers en chef du roi, des comtes, barons, évêques et abbés, ainsi que 8 000 sous-tenanciers du roi, des chevaliers, mais également des paysans aisés qui possédaient des fiefs ou des parties de fief concédés par les tenanciers en chef[xlvi]. Cette aristocratie représentait une toute petite minorité comparée à la population totale du royaume qui comptait alors 2,2 ou 2,3 millions d’habitants[xlvii].

[Par. 39] Le fief était la tenure du noble, autrement dit sa manière de posséder ou tenir une terre. La cérémonie, du nom d’hommage, au cours de laquelle un seigneur constituait un homme son vassal en lui remettant son fief, on parlait également d’honneur, a connu son plein épanouissement au début du second millénaire de l’ère chrétienne. Elle se déroulait ainsi : l’homme et futur vassal qui voulait servir faisait face au seigneur qui souhaitait devenir son chef ; le premier joignait les mains et les plaçait dans les mains du second, une marque de soumission parfois accentuée par l’agenouillement, puis il se reconnaissait l’homme de son vis-à-vis ; les deux se baisaient ensuite sur la bouche afin de marquer leur accord et leur amitié. Tels étaient les gestes qui servaient à nouer les liens très forts entre un seigneur et son vassal[xlviii]. Pour en garantir le respect, un second rite est venu se superposer au premier : la main tendue sur les Évangiles ou sur les reliques, le nouveau vassal jurait de rester fidèle à son maître. Dieu était désormais garant de son engagement. C’était la foi[xlix]. L’hommage venait en premier, la foi arrivait en second, puis l’investiture du fief prenait place.

[Par. 40] Notons au passage que le comte anglais était un tenancier en chef du roi comme l’était le baron. Tout ce qui différenciait le comte du baron était son association avec un shire, une division administrative du royaume qui pour cette raison a aussi été appelée un comté. Le comte prenait alors le nom du shire devenu un comté[l]. Lorsque Guillaume le Roux (règne 1087-1100) et Henri Ier (règne 1100-1135) ont nommé des comtes pour les shires de Warwick, de Northumberland, de Surrey, de Leicester et de Gloucester, ceux-ci sont devenus respectivement le comte de Warwick, le comte de Northumberland, le comte de Surrey, le comte de Leicester et le comte de Gloucester. Pour tout bénéfice, a expliqué Richard fitz Neal dans son traité écrit vers 1170, le comte anglais recevait alors un tiers des revenus des cours de justice et des bourgs de son comté[li].

[Par. 41] Il en était de même pour l’évêque ou l’abbé, également considéré comme un baron, en ce sens qu’il possédait, à l’instar du comte, un fief de baronnie. Ce fief de baronnie faisait qu’en plus de ses responsabilités dans la gestion d’un diocèse ou d’une abbaye, il jouissait des droits et assumait les obligations d’un baron, notamment l’obligation de fournir un certain nombre de chevaliers pour servir dans l’armée du roi[lii].

[Par. 42] Il ne faut pas sous-estimer le rôle des serments au Moyen Âge. Violer son contrat vassalique (l’hommage) et le serment (la foi) sur lequel il reposait pouvait entraîner de graves conséquences. La plus lointaine était que le parjure mettait son âme éternelle en danger[liii]. Toute personne qui violait son serment faisait aussi face à l’excommunication, une sanction plus sérieuse dans l’immédiat car, étant du coup exclue de l’Église, tous les autres se voyaient déliés de leur propre serment à son égard. Même sans le prononcé d’une excommunication, la partie lésée pouvait invoquer un manquement aux devoirs féodaux pour se justifier d’exercer des représailles contre la partie fautive. Un seigneur, dont les droits avaient été violés, décrétait parfois la commise, autrement dit la confiscation des terres de son vassal désormais considéré comme un félon[liv]. Et si c’était le vassal qui en était la victime, il avait à sa disposition la procédure de désaveu qui lui permettait de dénoncer son contrat vassalique, ainsi que l’hommage rendu à son ancien seigneur[lv], cela même lorsque le seigneur en cause était également son roi d’après l’évolution du droit au cours du XIIIe siècle[lvi]. L’affront subit par le vassal, avant de pouvoir dénoncer son seigneur, devait cependant avoir été dramatique, comme de l’avoir dépouillé de sa terre ou ne pas lui être venu en aide alors que sa vie était en danger[lvii]. Une cour féodale jugeait parfois ces litiges. Autrement, les parties avaient recours à la force pour régler leur différend.

[Par. 43] Jean sans Terre (règne 1199-1216) représente le meilleur exemple dans les trois cas. Pour ses terres situées en France, Normandie, Bretagne, Aquitaine et Anjou, Jean avait prêté l’hommage féodal au roi de France Philippe Auguste (règne 1180-1223). Il s’était donc constitué son vassal. Quand il a refusé de se présenter à la Cour royale de Philippe, en avril 1202, une obligation que lui imposait le droit féodal[lviii], la Cour a prononcé la commise de toutes les terres qu’il tenait du roi de France, une terrible sentence entrainant l’expropriation de ses terres françaises[lix]. Jean a ensuite été excommunié en 1212 par Innocent III (pontificat 1198-1216) en raison d’une mésentente avec ce pape lors de l’élection du nouvel archevêque de Cantorbéry[lx]. Innocent III déliait ainsi tous les sujets anglais de leur devoir de fidélité et les invitait même à la rébellion afin de renverser le roi d’Angleterre. Enfin, même si Jean et le pape se sont éventuellement réconciliés, des barons anglais, qui tous avaient juré fidélité à Jean, ont désavoué leurs liens avec lui le 5 mai 1215 à Brackley, au nord de la ville d’Oxford[lxi]. La raison invoquée : Jean avait usé et abusé de tous les moyens à sa disposition pour leur soutirer de l’argent, relief et écuage pour l’essentiel. Leur mécontentement s’est transformé en rébellion armée.

[Par. 44] L’hommage doublé de la foi entre un seigneur et son vassal ne pouvait être révoqué unilatéralement. Tout seigneur, y compris le roi, se voyait contraint par son serment au même titre que ses vassaux. Ils étaient indissolublement liés leur vie durant par des liens fondés sur une confiance réciproque[lxii]. Seule la mort de l’un d’entre eux libérait le survivant. S’il s’agissait du seigneur, son successeur héritait des droits et obligations du défunt. S’il s’agissait du vassal, la terre (ou l’honneur) revenait en possession du seigneur qui l’avait concédée en fief. Celui-ci avait la possibilité de la rétrocéder au fils de son ancien vassal, mais sans y être obligé de quelque manière, du moins dans les premières années de l’âge féodal. Le fils, à son tour, devait alors se soumettre au cérémonial de l’hommage et jurer la foi à son nouveau seigneur.

[Par. 45] La féodalité était d’abord un ensemble de liens personnels qui unissaient entre eux dans une hiérarchie les membres des couches dominantes de la société. C’était un vaste réseau de défense mutuelle ; chaque membre de l’aristocratie dépendait de l’autre pour sa protection. Un roi, pour assurer sa sécurité ou celle de son royaume, pouvait convoquer ses tenanciers en chef, ducs, comtes, barons, évêques et abbés, ainsi que leurs chevaliers, tout comme ces derniers pouvaient appeler à l’aide leur seigneur ou leur roi en cas de danger menaçant leur personne ou leurs biens.

[Par. 46] Les paysans, la grande masse de la population en Angleterre, travaillaient la terre. On pouvait distinguer trois catégories lors de l’enquête administrative de 1086 qui sera colligée dans un ouvrage appelée Domesday Book : environ 15% du total, des paysans libres, occupaient un lopin de terre contre le versement d’un loyer à un seigneur ; autour de 45% d’entre eux, non libres, dont on disait qu’ils étaient les vilains (villeins en anglais), possédaient une terre en censive, la tenure roturière ; le reste, soit 40%, les plus pauvres d’entre les pauvres, appelés cotiers en ancien français (cottars ou bordars ou coscets en anglais), aussi des non libres, possédaient peu ou pas de terre et travaillaient pour une pitance, juste le nécessaire à leur survie. Paysans libres, vilains et cotiers se distinguaient entre eux en raison de leur statut de libre ou de non libre plutôt que par leur revenu[lxiii].

[Par. 47] La censive du vilain, ou tenure du paysan roturier, se distinguait du fief noble sur presque tous les points. Régie par la coutume, elle ne procédait pas d’un engagement personnel. Un vilain héritait de sa terre de ses parents. Elle suffisait à le faire vivre ainsi que sa famille. Il lui était littéralement attaché, en ce sens qu’il ne pouvait la quitter pour offrir ses services ailleurs, à un autre seigneur ou à un paysan libre[lxiv]. On le disait non libre, donc en servitude, un statut dont il héritait de ses parents en même temps que sa terre[lxv]. Ses obligations consistaient en des charges de travail appelées corvées et en une redevance du nom de taille (tallage en anglais). Les corvées des tenanciers étaient habituellement d’entretenir les routes et les bâtiments communs relevant de son seigneur. Quant à la taille, il s’agissait du loyer payé au seigneur par le tenancier roturier. Son montant, immuable, était également fixé par la coutume[lxvi].

[Par. 48] Le roi, le duc, le comte, le baron ou le chevalier pouvait faire exploiter les terres de sa réserve par des salariés, ou les louer à des paysans libres, ou encore les confier en censive à des paysans qui payaient leur seigneur au moyen de corvées et le versement de la taille[lxvii]. Un puissant seigneur, comme le roi, pouvait prélever lui-même les montants dus ou affermer sa réserve à des administrateurs tels que le shérif anglais ou le vicomte français. L’affermage consistait à céder temporairement un bien contre le paiement d’un loyer. Cela permettait d’éviter les soucis de la perception, car un roi n’avait affaire qu’à quelques shérifs ou vicomtes au lieu de milliers de paysans. Le roi d’Angleterre se reposait sur ses shérifs pour la collecte de montants qui lui étaient dus[lxviii].

[Par. 49] Toutefois, un tel arrangement ouvrait la porte à tous les abus lorsque l’agent percepteur, shérif ou vicomte, était sans scrupules. Plusieurs shérifs anglais, surtout pendant le règne des rois de la maison de Normandie, ont ainsi acquis une fort mauvaise réputation (le sinistre shérif de Nottingham, dont la légende a fait l’ennemi de Robin des Bois, a probablement existé, contrairement à son alter ego)[lxix]. Des plaintes ont d’ailleurs été formulées à leur endroit. Ces plaintes, au départ du moins, demeuraient cependant sans suite parce que les shérifs étaient alors les principaux responsables de l’administration de la justice, tant à la Cour de comté qu’à la Cour de centaine[lxx]. Où se plaindre, à moins d’être un personnage puissant avec un accès direct au roi ? Certes, Guillaume II (règne 1087-1100) a dépêché des juges dans les régions du pays pour y voir. Mais ce n’était pas pour protéger ses sujets. Son unique but était d’empêcher ses shérifs de le voler[lxxi]. Plus sensible aux maux affligeant son royaume, Henri Ier (règne 1100-1135) s’est senti obligé de sévir. Il a renouvelé son personnel de shérifs, surtout à partir de 1106, puis a envoyé en tournée des juges itinérants sous la supervision de l’Échiquier afin de contrôler les abus[lxxii]. Mais cela n’a pas suffit. En 1170, peu après son arrivée sur le trône, Henri II a congédié à son tour presque tous ses shérifs, avant de mettre sur pied une commission d’enquête afin d’examiner leur administration[lxxiii]. Il faudra cependant attendre 1274 et la tenue d’une autre commission d’enquête[lxxiv], sous le règne de son petit-fils Henri III (règne 1216-1272), pour voir réduire considérablement les pouvoirs des shérifs et mettre définitivement fin à leurs abus[lxxv].

4. Évolution de la féodalité en Angleterre aux XIe et XIIe siècles

[Par. 50] Le contrat vassalique reposait sur la confiance que deux personnes pouvaient avoir l’une envers l’autre. Elles s’étaient engagées en raison des qualités personnelles de chaque partie au contrat et conséquemment de leurs aptitudes à remplir adéquatement leurs obligations. On peut alors comprendre pourquoi un vassal ne pouvait vendre sa terre. En effet, rien ne garantissait que l’acheteur posséderait les mêmes qualités que le vendeur.

[Par. 51] Ajoutons cependant que l’interdiction d’aliéner sa terre n’a pas empêcher l’apparition de la sous-inféodation, entre 1050 et 1150, soit l’action pour un seigneur, un baron par exemple, de concéder en fief une partie de son domaine à un seigneur de rang inférieur, tel un chevalier, à la condition de payer une taxe à son propre seigneur, dans ce cas précis s’agissant du roi.

a) Hérédité des fiefs

[Par. 52] Le roi, tout comme ses tenanciers en chef, pouvait donc en principe récupérer son bien à la mort de son vassal pour se lier ensuite à un autre homme de son choix, du moins aux débuts de la vassalité. Mais bientôt cela ne pourra plus se faire, car l’aîné du défunt va s’interposer en affichant ses prétentions à l’héritage de son père. Une date charnière, pour ce qui concerne la France, a été l’année 877. Charles II, dit le Chauve (règne 843-877), partait alors en Italie pour un campagne militaire dont il ne reviendra pas. Juste avant, le 16 juin, il a cependant émis le capitulaire de Quierzy-sur-Oise ou Kiersy-sur-Oise, sorte de législation des rois francs carolingiens, dans lequel il avait prévu que « le fils d’un comte sera honoré par le roi des honneurs paternels, que le roi conférera la dignité du père au fils »[lxxvi]. La succession des fiefs (des honneurs) est devenue dès lors héréditaire en France.

[Par. 53] Cette coutume prendra forme également en Angleterre. Il semble qu’elle était déjà respectée à l’arrivée de Guillaume Ier sur le trône en 1066[lxxvii]. On y ajoutera cependant la condition, lors du règne de son fils Guillaume II dit le Roux (règne 1087-1100), que seul l’enfant légitime pouvait hériter, donc être né d’un homme et d’une femme unis par le mariage[lxxviii].

[Par. 54] Un fils de la noblesse ne prétendait à l’héritage du père qu’après avoir respecté deux autres conditions[lxxix]. Il devait rendre l’hommage féodal au seigneur, comme son père l’avait fait avant lui, puis lui payer un droit, une sorte de taxe sur les successions du nom de relief. Le taux de la taxe est resté fluctuant pendant longtemps. Henri Ier (règne 1100-1135) tout comme le grand jurisconsulte du XIIe siècle Ranulf de Glanville ont seulement mentionné que le taux devait être juste et raisonnable[lxxx]. Toutefois, Jean sans Terre, qui a abusé de cette taxe comme bien d’autres prélèvements prévus par le droit féodal, a été contraint par les Grands du royaume à fixer un taux de 100 livres pour une baronnie et de 100 shillings pour une chevalerie[lxxxi], ce qui correspondait en gros au quart d’une année de revenu[lxxxii].

[Par. 55] La coutume de primogéniture a pris naissance à la même époque en Angleterre comme sur le continent. En vertu de celle-ci, l’honneur, autrement dit le titre ancestral et le fief lui étant associé, revenait au fils ainé de la famille ou à défaut de fils à sa fille aînée. En l’absence d’un enfant, on cherchait un héritier parmi les plus proches parents : petit-fils et petite-fille, frère et sœur et leurs descendants, oncles et tantes et leurs descendants, toujours en donnant priorité aux sexe masculin sur le féminin[lxxxiii].

[Par. 56] Un père n’avait pas le droit de déshériter son aîné pour léguer une partie de ses terres à un enfant plus jeune. Mais si le père avait acquis ou hérité d’autres biens durant sa vie, il pouvait les léguer selon son souhait à qui il voulait[lxxxiv].

b) Hommage lige dû au roi

[Par. 57] Le système féodal que nous venons de décrire sommairement se fondait sur l’exploitation de la terre par une hiérarchie de seigneurs et de vassaux dominant la paysannerie. Un roi confiait des terres à de grands seigneurs, comtes, barons, évêques et abbés qui, à leur tour, en cédaient une partie à des chevaliers. Un duc pouvait même avoir sous lui ses propres comtes ou barons, ajoutant ainsi un étage à l’édifice de la noblesse. Et tout ce monde comptait bien entendu sur des paysans pour faire fructifier ses terres.

[Par. 58] En France, chaque tenure en fief, duché ou comté, agissait comme une barrière qui empêchait le roi ou tout autre seigneur d’interférer dans les relations de ses vassaux avec leurs propres tenanciers, chevaliers ou paysans. Cela aurait été vu par le vassal comme une ingérence inacceptable dans ses affaires[lxxxv]. Ducs et comtes français régissaient donc leur domaine (leur honneur) avec une grande liberté, en quasi-souverain. Le roi et d’autres grands seigneurs ont alors tenté, avec plus ou moins de succès, de faire prêter à leurs vassaux un hommage prééminent, appelé un hommage lige[lxxxvi]. Un tel hommage l’emportait sur tous les autres lorsqu’un vassal s’unissait à plusieurs seigneurs[lxxxvii]. Il servira au roi d’Angleterre plus qu’à tout autre seigneur du Moyen Âge.

[Par. 59] En effet, lors d’une assemblée tenue le 1er août 1086 à Salisbury, le roi Guillaume de Normandie, dit le Conquérant, a imposé à ceux qui possédaient des terres, non seulement ses 1 400 tenanciers en chef, mais également ses 8 000 arrières vassaux et leurs propres tenanciers, de lui prêter un serment qui en faisaient ses hommes liges : ils s’étaient ainsi engagés à lui rester fidèle envers et contre tous[lxxxviii], comme à lui porter secours face à tous ses ennemis[lxxxix]. Guillaume suivait alors le précédent créé par le roi Edmond l’Ancien dans ses lois proclamées vers 945[xc]. Cette prestation collective de serment était déjà devenue la coutume en Angleterre au moment de l’arrivée du Conquérant sur le trône. Elle sera codifiée à nouveau dans les Assises de Northampton, une législation adoptée par le roi Henri II au sein de sa Cour en 1176. Celle-ci exigera des habitants de l’Angleterre, des plus grands seigneurs jusqu’aux plus humbles paysans possédant des terres, de jurer allégeance au roi en personne ou devant ses juges[xci]. À partir du règne de Jean sans Terre, en mai 1199, la prestation collective de serment aura lieu dorénavant lors du couronnement du nouveau roi[xcii].

c) Prééminence de la justice du roi

[Par. 60] Le roi d’Angleterre est ainsi devenu le seigneur incontesté de tous ses sujets. La loyauté promise au roi prenait le pas sur les autres droits et obligations des Anglais en raison de son caractère collectif et prééminent[xciii]. Aucune barrière ne s’élevant entre eux, les paysans et chevaliers devaient donc suivre leur roi plutôt que leur seigneur immédiat en cas de conflit armé entre les deux. Et comme être le seigneur d’une personne comportait le droit de lui rendre justice[xciv], le roi d’Angleterre invoquera son droit de trancher tout litige soumis par l’un ou l’autre de ses sujets. Certes, des seigneurs anglais tels un comte, un baron, un évêque ou un abbé pouvaient également maintenir une cour de justice afin de juger leurs vassaux et dépendants, mais la justice du roi l’emportait sur toutes les autres dès qu’elle entendait se saisir d’une affaire, d’après les jurisconsultes du XIIIe siècle, Henri de Bracton et Jean le Breton[xcv]. Ces litiges devenaient dès lors des plaids de la Couronne.

[Par. 61] Guillaume le Conquérant (règne 1066-1087) n’a pas abusé de sa prérogative de juger, car son intention, lorsqu’il a exigé un serment général de fidélité de tous les hommes libres de son royaume, était avant tout de se protéger contre d’éventuelles rébellions intérieures ou d’attaques venant de l’étranger[xcvi]. Sa Cour ne siégeait en tribunal que pour les grands seigneurs et les grandes causes. Toutefois, ses successeurs, Henri Ier (règne 1100-1135), Henri II (règne 1154-1189), Richard Ier (règne 1189-1199) et Henri III (règne 1216-1272) feront amplement usage de leur prérogative de rendre justice en déléguant leur pouvoir à des juges. Des cours royales, créées aux XIIe et XIIIe siècles par simple décret de ces souverains, pourront ainsi élaborer un droit commun applicable à tous les habitants de l’Angleterre : la future common law[xcvii]. La France devra quant à elle attendre 1804 avant de connaître l’unification de son droit, lorsqu’un Code civil rédigé sous le régime du premier consul Napoléon Bonaparte entrera en vigueur.

d) Chevaliers : de guerriers à seigneurs

[Par. 62] D’après l’enquête administrative consignée dans le Domesday Book de 1086, l’Angleterre comptait alors près de 1 000 tenanciers en chef. Guillaume le Conquérant s’était approprié le quart des terres de son nouveau royaume. L’Église, ou du moins son haut clergé, c.-à-d. les archevêques, évêques et abbés, en avait reçu ou s’était vu confirmer un autre quart. Les comtes et barons possédaient le reste, soit la moitié du pays. Dix d’entre eux, des parents et proches amis du roi Guillaume, les super riches, possédaient à eux-seuls la moitié de cette moitié ou le quart du total des terres du royaume, soit autant que l’Église ou le roi[xcviii].

[Par. 63] Un très grand seigneur, tenancier en chef, possédait un manoir ou un château doté d’un personnel souvent comparable à celui du roi : chambrier ou chambellan (chamberlain), sénéchal (steward), bouteiller (buttler), chapelain (chaplain), connétable ou constable (constable) et maréchal (marshall) en étaient les principaux membres. Le chambrier ou chambellan, préposé de la chambre à coucher et de la garde-robe, gouvernait le personnel domestique. Et comme un seigneur conservait le plus souvent sa cassette dans sa chambre, le chambellan s’occupait également de ses finances. Un sénéchal prenait soin d’approvisionner la maison en nourriture, tandis que le bouteiller veillait plus spécialement sur la cave à vin. Au chapelain était bien sûr attribué la charge des âmes. Ce grand seigneur conservait aussi près de lui une garde personnelle composée de chevaliers, de sergents et de simples troupiers, autrement dit des hommes d’arme pour assurer sa sécurité et celle de sa maison. Un connétable ou un marshal, en plus d’être responsable des écuries et de l’organisation des parties de chasse, se serait vu attribuer les tâches de sécurité et donc le commandement des chevaliers, des sergents et des troupiers[xcix]. La principale différence entre le roi et ses vassaux est que le roi multipliait ses serviteurs : le roi Henri Ier avait à son service plusieurs chambellans, bouteillers et maréchaux[c].

[Par. 64] Il importe ici de distinguer deux catégories de chevaliers : les chevaliers provendiers ou stipendiaires (household knights) que nous venons d’évoquer, ceux qui recevaient leur rémunération directement du seigneur et vivaient dans sa maison, et les chevaliers chasés (enfeoffed knights), ceux dûment pourvus en terre, c.-à-d. avec un fief de chevalerie. Leur équipement au XIIe siècle aurait été assez semblable : l’Assise des armes de 1181, législation du roi Henri II, prescrira que toute personne possédant un fief de chevalerie devait avoir en sa possession un haubert (robe en cote de mailles), un casque, un bouclier et une lance[ci], un attirail très coûteux avoisinant le prix d’une cinquantaine de bœufs[cii]. Toutefois, le chevalier chasé était un personnage plus considérable que le simple guerrier à cheval servant à la maison du maître ; il devenait lui-même un seigneur et en exerçait tous les droits[ciii].

[Par. 65] La transformation de cette dernière catégorie de chevaliers en seigneurs de la noblesse s’est produite à la même époque que celle de la conquête de l’Angleterre par Guillaume de Normandie. Avant 1066, donc au début du millénaire, on appelait chevalier tout homme qui combattait à cheval. Il s’agissait certes d’un guerrier d’élite. Mais il n’était pas encore gouverné par les règles éthiques qui feront sa réputation lors du règne de Richard Cœur de Lion (règne 1189-1199)[civ]. Combattant rustre, sans aucune morale particulière, il tuait non seulement ses ennemis en armes, mais il volait, violait et assassinait également des civils lorsque l’occasion se présentait. Comme les guerres privées se multipliaient avec leurs cortèges habituels de pillages et de destructions, l’Église, lors du Concile œcuménique du Latran tenu en 1123, a tenté d’instituer la Paix ou Trêve de Dieu pour limiter ces exactions[cv]. Mais l’initiative daterait en réalité de conciles ou congrès religieux provinciaux de la fin du Xe siècle, tels Charroux en 989-990 et Le Puy en 990, avant d’être reprise par plusieurs autres assemblées dans les années 1030s[cvi]. Plusieurs abbés ont fait la promotion de la paix ou trêve de Dieu à la même époque, notamment le célèbre Odilon de l’abbaye de Cluny[cvii]. On y fera également référence plus tard dans les Lois d’Édouard le Confesseur[cviii], que Guillaume de Normandie s’était engagé à respecter pendant son règne sur l’Angleterre[cix].

[Par. 66] L’Église a cherché, dans un premier temps, à obtenir l’engagement des seigneurs et de leurs guerriers de ne pas attaquer, tuer, enlever ou rançonner les civils, afin de protéger ceux qui n’exerçaient pas le métier des armes. Par la suite, elle a voulu limiter les périodes de combat en les interdisant pendant certains jours de la semaine et de l’année : le vendredi, samedi et dimanche, en souvenir des jours de la passion du Christ, de sa mise au tombeau et de sa résurrection, et lors des principales fêtes liturgiques comme Pâques, Noël et les jours anniversaires des saints notoires[cx]. Parce que l’on a reconnu que maintenir la paix sans interruption était irréalisable, on a parlé alors plus fréquemment de trêve plutôt que de paix de Dieu[cxi]. En somme, à défaut de pouvoir interdire la guerre, l’Église a donc tenté d’en limiter les dégâts en la réglementant. L’interdit et l’excommunication étaient ses armes de prédilection pour forcer le respect de ses prescriptions[cxii]. Mais cela n’a malheureusement pas suffi. Tous se sont rendus compte qu’il faudrait aussi changer les mentalités. La légende d’Arthur et de ses chevaliers de la Table ronde aidera.

[Par. 67] C’est entre 1135 et 1138, dans son Histoire des rois de Bretagne, que Geoffroy de Montmouth a fait naître ou renaître un héros populaire du VIe siècle, le roi Arthur, fils d’Uther[cxiii]. Arthur, dont on ignore s’il a vraiment existé, aurait été un chef militaire breton qui se serait opposé à l’invasion de son île par des païens, des guerriers angles, saxons et jutes venant du continent. L’Arthur de Montmouth était un personnage plutôt violent qui combattait ses ennemis sans pitié et se montrait parfois cruel[cxiv]. Son histoire, devenue très populaire au sein des cours d’Europe, fut cependant réinterprétée par d’autres, notamment par le poète normand Wace qui a composé le Roman de Brut vers 1155[cxv]. Arthur y est apparu transformé ; c’était désormais un roi plein d’égards qui écoutait ses amis et respectait ses ennemis. Plus de violences gratuites chez lui. Restaurer ou maintenir la paix était désormais son principal but. Wace est celui qui a évoqué l’existence d’une Table Ronde autour de laquelle Arthur réunissait ses chevaliers[cxvi]. Wace a fait des émules à son tour : l’Allemand Ulrich von Zatzikhoven écrira vers 1200 Lanzelet ou Lancelot, l’un des chevaliers de la Table Ronde chargée par Arthur de la quête du saint Graal. Ce nouveau roman, avouera plus tard son auteur, aurait été en réalité l’adaptation d’un livre plus ancien rédigé en français et aujourd’hui disparu[cxvii].

[Par. 68] L’Église a commodément récupéré le mythe d’Arthur afin de répandre l’idée qu’il existait un chevalier idéal. Celui-ci respectait les règles éthiques prescrites par les prêtres en tout temps, aussi bien lors de ses activités quotidiennes que durant les combats. Être chevalier était devenu plus qu’une occupation ; c’était désormais une certaine manière de se comporter autant qu’un véritable titre de noblesse. Les principes faisant d’un homme un véritable chevalier se résumait à peu de choses : il devait avoir été choisi par un grand seigneur sur la base de critères physiques et moraux tels que la force de corps et de caractère ainsi que le courage ; sur le champ de bataille, sa vaillance sans faille faisait qu’il ne désertait pas, ni ne fuyait, mais restait solidaire de ses compagnons d’armes ; et il n’achevait jamais de sang froid un adversaire vaincu et désarmé demandant grâce. Le bon chevalier respectait également quelques consignes de vie en dehors des champs de bataille : en bon chrétien, il évitait de rapporter des propos malveillants, portait secours aux pauvres et aux affligés, allait de bon cœur assister à la messe et défendait l’Église contre ses ennemis[cxviii].

[Par. 69] Ce portrait du chevalier date du XIIe siècle. Prêter les mêmes qualités au guerrier à cheval du VIe siècle, tel le supposé roi Arthur ou l’un de ses chevaliers de la Table Ronde, relèverait donc du plus pur anachronisme. En ce sens, cet Arthur idéalisé n’a jamais et n’aurait jamais pu exister.

e) Transformation du service militaire en écuage

[Par. 70] La reconnaissance de l’hérédité des fiefs de baronnie ou de chevalerie marquait déjà une brèche dans le caractère personnel de la relation entre un seigneur et son vassal car, à partir du moment où un fils pouvait réclamer pour héritage l’honneur de son père (son fief et son titre), contre le paiement d’un relief au seigneur, on ne pouvait plus prétendre que le seigneur et son vassal s’étaient liés en raison des seules qualités de chacun. En effet, rien ne garantissait que le fils démontrerait le même talent, qu’il deviendrait un conseiller aussi écouté ou un guerrier aussi habile que l’avait été son père.

[Par. 71] On comprend alors plus facilement pourquoi la coutume évoluera parallèlement pour permettre aux vassaux d’un seigneur, qu’ils soient des tenanciers en chef du roi, ou des tenanciers de ces mêmes tenanciers en chef, de verser une contribution en argent plus ou moins équivalente à la valeur de l’aide militaire promise dans le contrat vassalique[cxix]. Un chevalier pouvait ainsi verser une somme d’argent au comte, baron, évêque ou abbé au lieu d’aller sur le champ de bataille, tout comme le comte, baron, évêque ou abbé pouvait verser une somme d’argent au roi au lieu d’y envoyer ses chevaliers. On s’attendait, toutefois, à ce que le tenancier en chef se présente en personne, à moins d’avoir une bonne raison d’en être dispensé[cxx]. Cette contribution en argent sera appelée l’écuage. Plusieurs exemples se trouvent dans les archives datant du règne d’Henri II (1154-1189)[cxxi]. Toutefois, il semble qu’une pratique semblable existait déjà en Angleterre avant sa conquête par Guillaume de Normandie en 1066[cxxii].

[Par. 72] L’écuage enrichira le trésor du roi. Il lui permettra d’accroître le nombre de mercenaires faisant partie de son armée et de ne plus dépendre de la fidélité de ses vassaux. En raison de cet avantage, le roi anglais, à partir du règne d’Henri II (1154-1189), encouragera la transformation de l’aide militaire en écuage[cxxiii]. Cette taxe, où son équivalent sous la forme d’une amende à partir de 1257 pour ceux qui refusaient de servir, financera la plus grande part des armés du roi d’Angleterre au XIVe siècle[cxxiv].

[Par. 73] L’arrivée de l’écuage a cependant compliqué davantage les relations entre vassaux et seigneurs. En effet, à partir du moment où l’obligation d’un vassal s’est traduite en argent, elle pouvait se diviser et se diviser à nouveau. Et c’est ce qui est arrivé. Des fiefs de chevalerie, domaines comprenant entre 1 000 et 5 000 âcres chacun dépendant de la qualité de la terre en cause, soit assez pour faire vivre un chevalier, sa famille et leurs dépendants, ont été en partie sous-inféodés à plusieurs acquéreurs qui ne détenaient plus alors qu’un demi, un tiers ou même un quart de fief de chevalerie[cxxv]. Celui qui avait moins qu’un fief complet devait alors verser un demi, un tiers ou un quart de la somme exigée pour un fief complet, autrement dit une part proportionnelle à la superficie de la terre possédée. Voilà pourquoi l’obligation faite de contribuer au paiement de l’écuage a été de plus en plus perçue comme un simple impôt foncier[cxxvi].

[Par. 74] Nous avons l’exemple de l’archevêque d’York à qui le roi Guillaume a concédé le domaine de Lubbenham, dans le Leicestershire. L’archevêque en a cédé une partie à un nommé Walchelin, lequel en a cédé huit charruées à l’un de ses hommes, Robert, qui lui-même en a cédé deux charruées à Osbern, un pauvre chevalier[cxxvii]. Une charruée, ou carucates en anglais, était une étendue de terre qu’un homme pouvait cultiver par année avec une charrue, soit environ 120 âcres par charruée, entre 2 ½ % et 12 % d’un fief de chevalerie. Dans cette région peu fertile du nord de l’Angleterre, il est concevable qu’une charruée ne valait pas beaucoup plus que les 2 ½ % du fief de chevalerie.

[Par. 75] Cette pratique de sous-inféoder des fiefs de chevalerie s’est poursuivie jusqu’en 1290. Parce qu’elle se faisait au détriment des tenanciers en chef, ces comtes, barons, évêques et abbés qui étaient incapables de percevoir les sommes leur étaient dues, Édouard Ier l’interdira en faisant adopter par le parlement le Statut Quia Emptores[cxxviii].

[Par. 76] Certes, le Statut Quia Emptores interdira toute nouvelle sous-inféodation, mais il autorisera la vente des mêmes biens fonciers, à la condition que l’acheteur relève directement du seigneur supérieur, autrement dit du seigneur de la personne qui vendait sa terre. Celui-ci, un comte, un baron, un évêque ou un abbé devenait alors le seigneur immédiat de l’acheteur. Autrement dit, la vente de tout ou partie d’un fief avait désormais pour effet d’ajouter un nouveau vassal au seigneur qui avait créé ce fief en premier lieu. Un nouveau vassal voulait dire dans les faits un nouveau débiteur. Par exemple, lorsqu’un comte avait anciennement créé un fief de chevalerie, et que le chevalier désirait maintenant se séparer d’une partie ou de toute sa terre, son acheteur devenait le vassal du comte plutôt que le vassal du chevalier ; autrement dit, la vente avait eu pour effet de substituer un vassal à un autre vassal pour la portion du fief cédée.

[Par. 77] Le Statut Quia Emptores s’appliquait à tous les seigneurs, même aux tenanciers en chef, comtes, barons, évêques et abbés. Pas plus que les chevaliers, ils ne pouvaient procéder à de nouvelles sous-inféodations pour constituer d’autres fiefs, à moins d’obtenir au préalable l’autorisation du roi[cxxix].

5. Déclin du féodalisme (XIIIe-XVIe siècle)

[Par. 78] La féodalité était une organisation sociale fondée sur un ensemble de serments individuels, des engagements sacrés, qui chacun établissait un lien personnel très fort entre deux hommes. Sur toute l’étendue d’un royaume, le roi, les grands et petits seigneurs, jusqu’aux paysans, étaient ainsi unis les uns aux autres par un vaste réseau de droits et de devoirs réciproques dont l’objectif principal était de garantir la sécurité de tous. C’était, nous l’avons dit, un vaste réseau de défense mutuelle.

a) Liens personnels entre seigneurs

[Par. 79] Chaque engagement pris entre seigneurs, l’aristocratie du royaume, possédait à l’origine un caractère strictement personnel. Lorsque le roi confiait une partie de ses terres à un tenancier en chef (comte, baron, évêque ou abbé), ou lorsque ce dernier confiait à son tour une partie de ses terres à un autre tenancier (chevalier ou paysan libre), il le faisait en raison des qualités propre de celui envers qui il s’engageait. L’idée qu’un tenancier puisse vendre sa terre n’avait aucun sens au début de l’âge féodal, parce que cette terre, qui ne lui appartenait pas, lui avait été confiée en échange de devoirs à remplir en personne[cxxx]. Toute atteinte ou dérogation à ce principe portait donc atteinte à la nature féodale de la société.

[Par. 80] La transmission héréditaire du fief noble, acquise au XIe siècle, a représenté un premier recul de la société féodale. Rappelons qu’au départ la terre revenait en possession du seigneur qui la remettait ensuite entre les mains du fils aîné du défunt si celui-ci lui convenait et seulement après avoir reçu son hommage. Le seigneur a perdu cet avantage dès que le fils de son vassal s’est vu reconnaître le droit de réclamer la terre du père défunt contre le versement d’un droit de mutation : le relief. Un seigneur ne pouvait plus refuser l’investiture du fils, peu importe ses qualités ou ses défauts.

[Par. 81] Peu après, dès que le chevalier a pu verser un paiement dit d’écuage au lieu d’assurer son service militaire en personne, la relation féodale s’est encore dégradée. Le roi ou le seigneur pouvait certes choisir un mercenaire pour le remplacer, mais il n’était pas lié avec ce mercenaire par l’hommage et par la foi, comme avec son vassal, car seul l’argent reçu par le mercenaire marquait les limites de sa loyauté.

[Par. 82] Le chevalier a pu ensuite sous-inféoder des parties de son fief à d’autres sans même obtenir la permission de son seigneur et tenancier en chef. Pourquoi l’aurait-il fait ? Souvent pour les mêmes raison qu’aujourd’hui : obtenir de l’argent afin de compenser une baisse de revenus, ou pour faire face à une dépense imprévue ou encore pour régler une dette. Ce pouvait être également pour aider un fils cadet désargenté en raison des règles de la succession qui privilégiait l’aîné. Les cessionnaires, ces autres personnes qui recevaient la terre, maintenant des vassaux du chevalier, récupéraient alors ses droits et encouraient ses obligations pour la superficie cédée, notamment le versement du relief correspondant à ce qu’ils avaient reçu.

[Par. 83] La sous-inféodation compliquait nécessairement la tâche du tenancier en chef lorsqu’il voulait percevoir ses propres redevances. En effet, même s’il réclamait le tout à son chevalier, comme il en avait le droit, ce dernier ne possédait plus qu’une fraction de son fief original. Le chevalier, pour payer son seigneur, devait se tourner vers ses propres tenanciers pour réclamer l’argent dû, une tâche qui se compliquait d’autant lorsque ces derniers avaient eux-aussi sous inféodé une partie de leur fief. Et c’était sans compter avec le problème additionnel créé par un fief de chevalerie diminué qui ne suffisait plus à faire vivre la famille du chevalier. Celui-ci devait, soit réduire son train de vie, soit se séparer d’une part encore plus importante de son fief original pour payer ses dépenses courantes. Beaucoup de chevaliers se sont ainsi appauvris, jusqu’à abandonner totalement leur terre et vivre de la charité[cxxxi].

[Par. 84] Nous venons de voir que l’adoption du Statut Quia emptores en 1290 avait mis un terme à cette pratique. Pour cela il a été nécessaire d’autoriser la vente du fief de chevalerie. On ne réglait pas les difficultés financières du chevalier, mais au moins les tenanciers en chef, que la loi cherchait à protéger, pouvaient réclamer les sommes dues en s’adressant directement à leurs nouveaux vassaux, les acheteurs des terres cédées par le chevalier. Ces derniers vassaux devenaient pour eux autant de nouveaux débiteurs.

[Par. 85] Tout allait donc pour le mieux du point de vue des tenanciers en chef, les grands personnages du royaume. Mais on dénaturait ainsi entièrement ce qui avait été la relation féodale entre un seigneur et son vassal. Celle-ci n’existait plus. Tous les engagements autrefois pris sur l’honneur avaient été monétarisés, c.-à-d. traduits en argent sonnant. Comme l’a écrit le médiéviste Marc Bloch, « la fidélité était entrée dans le commerce »[cxxxii].

[Par. 86] Il faudra cependant attendre l’adoption par le parlement de la Loi abolissant les tenures en 1660 pour mettre fin à ce qui restait des aides féodales ; tous les fiefs comprenant un service militaire ont alors été transformés en terres détenues en franc et commun socage[cxxxiii]. Cette expression, issue de la common law anglaise, réfère à une tenure libre se rapprochant du titre de propriété moderne[cxxxiv]. Pour compenser le manque à gagner du trésor royal, le Parlement a voté une nouvelle taxe sur l’alcool qui devait rapporter à la Couronne la somme annuelle de 100 000 livres[cxxxv].

b) Servitudes imposées aux paysans

[Par. 87] Tout au bas de l’échelle sociale vivaient les paysans.

[Par. 88] En 1086, lors de l’enquête du Domesday, les paysans libres, ceux qui travaillaient contre salaire ou qui louaient la terre d’un seigneur, un contrat appelé le copyhold, représentaient une minorité, peut-être 15 % des paysans. Les autres, des non libres, vilains ou cotiers, labouraient la terre dont ils avaient hérité et à laquelle ils étaient attachés. Ces paysans ne pouvaient quitter leur seigneur sans sa permission pour offrir leurs services à d’autres. Mais leur condition évoluera après les grandes épidémies du XIVe siècle qui frapperont l’Angleterre comme le reste de l’Europe.

[Par. 89] Entre 1086 et 1348, la population de l’Angleterre serait passée de 2,2 ou 2,3 millions à presque six millions d’habitants, d’après les études les plus sérieuses sur la question[cxxxvi]. C’est qu’une seconde grande vague d’épidémies de peste a frappé de plein fouet le royaume. On l’a surnommée la peste noire ou Black Death en anglais.

[Par. 90] Cette épidémie, partie de la Chine, avait atteint l’ouest de l’Europe au début des années 1340, puis le sud-ouest de l’Angleterre à la fin de l’été 1348. Elle s’est étendue à toute l’île en quelques mois. Dans les deux ans de son arrivée, elle aurait fait mourir de 40 à 50 % de la population anglaise[cxxxvii]. On n’avait jamais connu une telle hécatombe et on n’en connaîtra jamais une autre aussi grave depuis. Cela dit, d’autres épidémies suivront, quoique moins mortelles, en 1361, 1362, 1369 et 1375. On a estimé qu’elles ont provoqué à leur tour la mort de 10 à 15 % des habitants. Le chiffre de la population avait donc été ramené entre 2,1 et 3 millions, le même que lors de la conquête de l’Angleterre trois siècles plus tôt. Et cette population restera stagnante pendant très longtemps, d’abord en raison du retour cyclique de la peste, puis des fléaux habituels qu’étaient les épidémies de dysenterie et de grippe. Des villages entiers ont disparu. Il faudra attendre les années 1500 pour voir la population croître à nouveau régulièrement, et 1750 pour qu’elle atteigne les 5,74 millions, à peu près le chiffre déjà atteint en 1348[cxxxviii]. Cette époque était dangereuse, à n’en pas douter.

[Par. 91] Nul ne sait si l’épidémie qui a atteint l’Europe en 1548 était exactement de même nature que celle survenue au VIe siècle. On croît que le virus venu d’Orient était la peste bubonique, une maladie infectieuse des pays chauds qui se transmettait par la morsure d’une puce, d’un rat ou quelque autre rongeur infecté[cxxxix]. L’hiver venu, elle se serait cependant muée en une autre maladie, probablement la peste pneumonique, encore plus contagieuse puisqu’elle se transmettait directement d’une personne à l’autre. Un simple éternuement par une personne atteinte mettait alors en danger tout son entourage. La majorité des experts s’accordent aujourd’hui pour reconnaître que la peste pneumonique aurait été la principale responsable de la majorité des décès compte tenu de la surpopulation des villes et des mauvaises conditions d’hygiène dans le pays[cxl].

[Par. 92] Quel a été l’impact des épidémies sur l’évolution du féodalisme, la question qui nous intéresse ? Dans l’immédiat, très peu. Bien sûr, il a fallu ralentir ou stopper temporairement certaines activités en raison des pénuries de main-d’œuvre et d’une baisse de la consommation. Mais les paysans et la population en général ont dû retourner à leurs activités habituelles après quelques mois, ne serait-ce que pour se nourrir et s’assurer un toit.

[Par. 93] Des changements plus durables et très visibles sont néanmoins apparus. Un peu partout, des terres se sont libérées. Et les grands seigneurs ne trouvaient plus la main-d’œuvre nécessaire pour les cultiver toutes. Voyant cela, des vilains et cotiers, ces paysans attachés à leur terre, ont demandé à leur seigneur de leur accorder la liberté. Peu de seigneurs se sont laissés persuader. Un grand nombre de paysans ont néanmoins quitté leur domaine seigneurial pour aller voir ailleurs en espérant améliorer leur sort. Ils ont trouvé un emploi ou une terre à louer chez un autre seigneur trop heureux d’oublier leur origine servile. Mieux encore, les paysans à la recherche d’une terre ont réussi à obtenir du nouveau seigneur une baisse des prix des loyers normalement exigés. Quant aux autres qui souhaitaient plutôt louer leurs services contre rémunération, leur nouvelle liberté et le manque de main-d’œuvre leur ont permis d’exiger de meilleurs salaires qu’avant les épidémies de 1348. Leur pouvoir de négociation était tel qu’ils refusaient désormais des contrats d’emploi annuels pour leur préférer des ententes négociées tous les trois mois ou un salaire à la journée ou encore un paiement pour chaque tâche. On travaillait moins d’heures par jour et prenait plus de congés tout en insistant pour obtenir la même paie. Une ère de liberté s’ouvrait pour les pauvres. Tous pouvaient légitimement espérer une amélioration de leur situation[cxli].

[Par. 94] Évidemment, les grands seigneurs, qui possédaient avec le roi et l’Église à peu près toutes les terres du royaume, ont trouvé moins plaisantes ces inquiétantes innovations. Tout leur coûtait plus cher. De leur point de vue, une riposte s’imposait, ce qui ne posait aucun problème, car le gouvernement, le parlement, les cours de justice et les juges de paix étaient sous leur contrôle. Cette riposte a eu lieu en 1349 et en 1351 : le roi Édouard III et son parlement ont adopté l’un après l’autre un décret et une loi afin de régir les conditions d’emploi des travailleurs[cxlii]. Leur objectif était de rendre illégal de demander ou d’offrir des conditions d’emploi supérieures à celles qui avaient cours avant l’arrivée de la Peste noire. Ils interdisaient également de refuser un contrat d’emploi d’un an ou de partir avant le terme de son contrat d’emploi. Les prix des loyers étaient également déterminés. Des juges de paix se verront éventuellement confier la responsabilité d’appliquer ces lois.

[Par. 95] Tous ces efforts, malgré les nombreuses poursuites judiciaires, malgré les révoltes réprimées, ne réussiront pas à empêcher la fuite des paysans non libres et la hausse générale des salaires. Dès 1361, jusqu’en 1376, employeurs et propriétaires ont donc multiplié les pétitions adressées au parlement pour s’en plaindre[cxliii].

[Par. 96] Comme il n’avait pu empêcher les hausses de revenu des plus pauvres, le roi a pensé qu’il était juste de les faire contribuer à l’effort de guerre contre la France. Une taxe de capitation (poll tax en anglais) a été levée à cet effet pour les années 1377, 1379 et 1381. Il s’agissait d’une taxe à taux unique que chaque homme ou femme âgé de 14 ans et plus devait payer, qu’il ait été très pauvre ou très riche, libre ou non libre, travailleur ou personne à charge[cxliv]. Aujourd’hui, on parlerait de taxe régressive, ou inéquitable, parce qu’elle ne tenait aucun compte de la capacité des individus de la payer. La nouvelle taxe a été ressentie comme une injustice de la part de ceux qui n’avaient jamais été soumis à l’impôt auparavant. Pour éviter d’ouvrir leur bourse, les nouveaux contribuables ont dissimulé les personnes à leur charge, adolescents et serviteurs, spécialement les femmes, en niant qu’ils habitaient à la maison du maître ou en mentant sur leur âge[cxlv]. Entre 1377 et 1381, le nombre de ceux qui ont payé a ainsi diminué de 1 355 201 à moins de 900 000.

[Par. 97] En mai 1381, les paysans, après avoir causé quelques troubles mineurs ici et là les années passées, en ont eu assez de ces abus et se sont massivement révoltés, une première dans l’histoire de l’Angleterre et un avertissement pour l’avenir. Leurs champions, les leaders de la révolte, ne comptaient pas parmi les plus pauvres ; au contraire, une grande proportion d’entre eux avait déjà occupé des positions honorables dans leur communauté respective : agent d’un seigneur, juré dans un procès, constable, etc. Ils savaient donc organiser, commander et se faire obéir. Leur principal motif de mécontentement était que les grands seigneurs les empêchaient de réaliser leurs ambitions. Cette colère, depuis longtemps contenue, a explosé quand le gouvernement de Richard II a décidé d’imposer la taxe de capitation pour une troisième fois à un taux trois fois supérieur[cxlvi].

[Par. 98] Il est difficile d’évaluer le nombre des paysans en cause, plus de 100 000 rebelles d’après un chroniqueur qui a observé la scène[cxlvii]. Mais ils étaient certainement très nombreux, assez pour effrayer le roi Richard qui s’est réfugié dans son palais de la Tour de Londres, à l’entrée est de la Cité. Richard a cherché à gagner du temps en invitant leur porte-parole, un certain Wat Tyler, afin d’entamer des pourparlers. Il lui aurait dit vouloir accéder à ses demandes, soit l’abolition de la servitude, la fin de tout serment ou hommage devant être rendu au seigneur, un loyer de 4 pennies l’acre pour la terre, ainsi qu’une amnistie générale pour les paysans ayant pris les armes. Curieusement, les rebelles n’ont pas mentionné la taxe de capitation. Mais ils ont insisté pour préciser que tout homme devrait pouvoir se lier à un autre que par un accord librement consenti, autrement dit par contrat[cxlviii].

[Par. 99] Le roi n’avait aucunement l’intention d’honorer ses promesses. Aussitôt qu’il a repris l’avantage, il a fait exécuter Tyler et mis un terme à la révolte en moins de deux mois[cxlix]. Tout devait revenir à la normale. La rébellion avait néanmoins laissé un mauvais souvenir.

[Par. 100] Richard II a voulu enfoncer le clou et marquer sa victoire en faisant adopter par le parlement le Statut de Cambridge de 1388[cl]. Celui-ci interdisait aux travailleurs de quitter leur terre sans détenir les documents émis par un juge de paix justifiant leur départ. Tout travailleur qui quittait sa région sans ces documents était arrêté sur le champ et renvoyé d’où il venait. Mais cette nouvelle loi n’a pas eu beaucoup plus de succès que les précédentes mesures de 1349 et 1351.

[Par. 101] Malgré l’apparente défaite des rebelles, plusieurs seront d’ailleurs exécutés, le roi et ses ministres ont abandonné l’idée de lever à nouveau une taxe de capitation en même temps que leur projet de guerre contre la France. Et quand les paysans libres et non libres, entre les années 1390 et 1440, ont demandé à leur seigneur une diminution du montant de leur loyer, ou encore la conversion de leurs anciennes obligations féodales sous la forme de corvées en un contrat de location (le copyhold) payable en argent, l’expérience de 1381 a accru leur pouvoir de négociation. Aucune violence n’a été exercée ; leur détermination a suffi. Ils ont simplement fait comprendre qu’ils refuseraient de payer plus et qu’ils quitteraient le manoir du seigneur pour trouver une autre terre en cas de désaccord. La plupart du temps, le seigneur cédait[cli]. Pour ces paysans, la signature d’un contrat avec le seigneur représentait une déclaration de liberté[clii]. La tenure de censive a ainsi pratiquement disparu pendant le XVe siècle, tout comme les loyers exagérément élevés, en raison de la réalité économique et de la peur qu’inspiraient désormais les paysans. Pour les paysans, le féodalisme était agonisant.

[Par. 102] L’avenir ne sera pas toujours rose pour les paysans. Ils ont certes gagné la liberté de négocier avec le seigneur le montant du loyer de leur terre, mais ils ont du coup perdu la sécurité associée à la tenure féodale où leurs obligations étaient fixées par la coutume. Car le copyhold, contrairement à la censive, obéissait aux fluctuations du marché. Tant que la pénurie de main-d’œuvre et la relative abondance des terres ont continué, le pouvoir de négociation des paysans a été élevé. Mais il se renversera graduellement en faveur des seigneurs au cours de la seconde moitié du XVe siècle. Certains paysans tireront leur épingle du jeu et deviendront même de nouveaux riches. D’autres, beaucoup plus nombreux, grossiront cependant la masse des pauvres dans les villes[cliii]. Le banditisme et l’insécurité iront grandissant et deviendront même une véritable plaie durant les règnes d’Henri VIII (1509-1547) et d’Élisabeth 1re (1558-1603). C’est pour résoudre ce problème que le parlement adoptera une première loi visant l’amélioration du sort des pauvres à la fin du règne d’Élisabeth[cliv].

Conclusion : Apparition de l’État anglais entre les XIIIe et XVIe siècles

[Par. 103] Un État, au sens moderne du droit international, est un groupe d’êtres humains vivant à l’intérieur d’un territoire délimité par ses frontières et soumis à l’autorité d’un même gouvernement, qui exerce ses compétences sur ce territoire en toute indépendance et qui a la capacité d’entrer en relations avec les autres États[clv]. On parle alors d’un État souverain.

[Par. 104] Un État est rarement une création spontanée. L’État anglais, pour sa part, s’est formé au fil des siècles autour du gouvernement du roi ou de la reine et de son parlement. Il fallait d’abord que le monarque assure son pouvoir en bâtissant une structure administrative, des ministères avec leurs fonctionnaires, financés grâce à un impôt régulier. L’effondrement des structures féodales et leur traduction sous la forme de contributions en argent a aidé. Mais il fallait également écarter tout pouvoir concurrent. Celui qui posait problème était l’autorité indépendante exercée par l’Église catholique et son pape. Elle prendra fin sous le règne d’Henri VIII (1509-1547). S’il fallait marquer d’une date la naissance de l’État anglais moderne, on doit donc la chercher à cette époque.

[Par. 105] Henri VIII a convoqué en 1529 l’un des parlements les plus célèbres de l’histoire de l’Angleterre : connu sous le nom de Parlement de la réforme, il a siégé jusqu’en 1536. Thomas More a prononcé le discours d’ouverture le 3 novembre. Il a appelé à une réforme de l’Église nationale, sans savoir jusqu’où ses vœux la conduiraient. Henri s’est rapidement détourné de More pour écouter les conseils de Thomas Cromwell que le roi avait appelé à son service en 1530. Cromwell croyait à la nouvelle doctrine de l’État souverain[clvi]. Cette doctrine voulait que sur un territoire, il devait n’exister qu’un seul maître tout puissant, une seule autorité souveraine. L’évêque de Rome, qui exerçait encore un pouvoir indépendant de celui du roi, constituait alors le dernier obstacle à l’établissement d’un État souverain en Angleterre. Cromwell a donc imaginé de déloger le pape en faisant d’Henri VIII et de ses successeurs sur le trône le seul protecteur et le chef suprême de l’Église d’Angleterre. Il a proposé à cet effet le projet de Loi sur la suprématie, que le parlement a adopté en 1534[clvii].

[Par. 106] À partir de ce moment, le lieu de la souveraineté en Angleterre, comme dans les États qui lui ont succédé (Grande-Bretagne, Royaume-Uni de grande Bretagne et d’Irlande puis Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord) a été son parlement, une institution composée du roi (ou de la reine), de la Chambre des lords et de la Chambre des communes. Depuis lors, reconnaissait un auteur dont les écrits remontent entre 1567 et 1571, il n’y a rien qu’une loi du parlement ne puisse faire en Angleterre : il est le lieu d’un pouvoir absolu dont les actes lient chaque Anglais parce que tous y sont représentés. C’était la première affirmation de l’omnipotence du monarque en son parlement[clviii].

[Par. 107] L’État anglais était né et le féodalisme définitivement enterré.


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[i] L. JERPHAGON, Histoire de la Rome antique : Les armes et les mots, 4e éd., Paris, Tallandier éditions, 2002, p. 568.

[ii] La Germanie de l’Antiquité était bornée par la Mer du Nord et les fleuves Danube, Vistule et Rhin, soit en gros l’Allemagne, le Danemark, la République Tchèque, la Slovaquie et la Pologne d’aujourd’hui.

[iii] P. OROSIUS, The Seven Books of History Against the Pagans, traduction anglaise de I. Woodworth Raymond, Columbia University Press, 1936, p. 352.

[iv] J. le GOFF, La civilisation de l’Occident médiéval, Paris, Éditions Flammarion, Champs Histoire, 2008, 11.

[v] TACITE, La Germanie, écrit vers l’an 98, traduction de C.L.F. Packoucke, Paris, Imprimerie de C.L.F. Packoucke, 1824.

[vi] PLINE, Histoire naturelle de Pline, écrit vers l’an 77, traduction de M. Ajasson de Grandsagne, Livre 10, Paris, Imprimerie de C.L.F. Packoucke, 1829.

[vii] On trouve une description des frontières physiques de la Germanie antique dans PTOLÉMÉE, Traité de géographie, écrit vers l’an 150, traduction de l’abbé Halma, Paris, Eberhart Imprimeur, 1828.

[viii] TACITE, id., p. 16, 28 et 86, 94, 100 et 108.

[ix] TACITE, id., p. 71.

[x] TACITE, id., p. 70, 72, 74, 76 et 78.

[xi] TACITE, id., p. 60, 63 et 64.

[xii] TACITE, id., p. 32, 34, 54, 56 et 58.

[xiii] TACITE, id., p. 52 et 54. Lire aussi P. ANDERSON, Passages from Antiquity to Feudalism, London, NLB, 1974, p. 107.

[xiv] TACITE, id., p. 76, 78, 80, 82, 124 et 132.

[xv] JERPHAGON, préc. note 1, p. 535 à 537.

[xvi] ANDERSON, préc., note 13, p. 109 et 110. Lire aussi W. Goffart, « The Barbarians in Late Antiquity and how they were Accomodated in the West », et P.F. HEATHER, « Foedera and Foederati of the Fourth Century », dans T.F.X. Noble (éd.), From Roman Provinces to Medieval Kingdom, New York, Routledge, 2006, p. 235 à 261 et 309 à 323.

[xvii] ANDERSON, préc., note 13, p. 108.

[xviii] OROSIUS, préc. note 3, p. 384 à 390. Lire aussi JERPHAGON, préc. note 1, p. 549 à 551.

[xix] Lettre de saint Jérôme à la religieuse Principia, SAINT JÉRÔME, Lettres, tome 7, Paris, Société d’édition Les Belles Lettres, 1961, p. 153 (Lettre 128).

[xx] G.-A. MORIN, La fin de l’Empire romain d’Occident ; Chronique de son dernier siècle de 375 à 476 (Paris, Éditions du Rocher, 2014), Édition Kindle, emplacements 6614 à 6824 et 7996 à 8076.

[xxi]GRÉGOIRE de TOURS, Histoire des Francs, 574-594, tome I, dans M. Guisot, Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France, Paris, Chez J.L.J. Brière, libraire, 1823, p. 109.

[xxii] Id., p. 112.

[xxiii] T. REGAZZOLA et J. LEFEBVRE, La domestication du mouvement, poussée mobilisatrices et surrection de l’État, Paris, Éditions Anthropos, 1981, p. 16 et 17.

[xxiv] Id., p. 15, 16 et 17.

[xxv] P. DIACRE, Histoire des Lombards, livre II, chapitre IV.

[xxvi] M. BLOCH, La société féodale (Paris, Albin Michel, 1994), Édition Kindle, emplacements 2147 à 2162.

[xxvii] GRÉGOIRE de TOURS, préc. note 21, tome II, p. 339.

[xxviii] GRÉGOIRE de TOURS, préc. note 21, tome I, p. 272, tome 2, p. 44 et 45.

[xxix] C. WICKHAM, « The Other Transition : From the Ancient World to Feudalism », [1984] 103 Past and Present 3, p. 21.

[xxx] GRÉGOIRE de TOURS, préc. note 21, tome II, p. 220 et 306.

[xxxi] Id., tome I, p. 45, 220 et 301, tome II, p. 254 et 305.

[xxxii] REGAZZOLA et LEFEBVRE, préc. note 23, p. 20 à 23.

[xxxiii] BLOCH, préc. note 26, emplacement 2212.

[xxxiv] WICKHAM, préc. note 29, p. 28 et 29.

[xxxv] H.J. BERMAN, Law and Revolution : The Formation of the Western Legal Tradition, Cambridge, Harvard University Press, p. 301.

[xxxvi] ÉGINHARD, Annales des rois Pépin, Charlemagne et Louis-le-Débonnaire, environ 801, dans M. Guisot, Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France, Paris, Chez J.L.J. Brière, libraire, 1824, p. 6 et 7.

[xxxvii] BLOCH, préc. note 26, emplacements 4887 à 4929.

[xxxviii] Le GOFF, préc. note 4, p. 40.

[xxxix] S. REYNOLDS, Fiefs and Vassals : The Medieval Evidence Reinterpreted, Oxford, Oxford University Press, 2001, p. 5.

[xl] Id., p. 49 et 50.

[xli] Le GOFF, préc. note 4, p. 71.

[xlii] BLOCH, préc. note 26, emplacements 6771 à 6789.

[xliii] R. BARTLETT, England Under the Norman and Angevin Kings, 1075-1225, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 264.

[xliv] The exaction of reasonable aids, dans R. de GLANVILLE, The Treatise on the Laws and Customs of the Realm of England Called Glanvill, ou Traité des lois et coutumes du royaume d’Angleterre appelé Glanville, traité rédigé vers 1188, par G.D.G. Hall (éd.), Oxford, Oxford University Press, 1965, p. 111 et 112. Lire également la Magna Carta de 1215, arts. 12 et 15, reproduits en version française sur notre site web www.constitution-du-Royaume-Uni.org.

[xlv] D.C. DOUGLAS et G.W. GREENAWAY (éds.), English Historical Documents, vol. II (1042-1189), 2e éd., London, Routledge, 1981, p. 960 à 963.

[xlvi] Ces chiffres de 1 400 vassaux et 8 000 arrières vassaux de la Couronne découlent de l’enquête du Domesday Book : V.H. GALBRAITH, Domesday Book, It’s Place in Administrative History, Oxford, Clarendon Press, p. 132. Lire également M. MORRIS, The Norman Conquest, London, Windmill Books, 2013, p. 318 et 319.

[xlvii] A. HINDE, England’s Population : A History since the Domesday Survey, London, Hodder Education, 2003, p. 18, 19, 26, 27, 36 et surtout p. 37 pour la conclusion sur ce sujet.

[xlviii] J. le BRETON, Britton, an English Translation and Notes, ou Breton, traduction anglaise avec notes, traité rédigé vers 1305, par F.M. Nichols (éd.), Washington D.C., John Byrne imprimeur, 1901, p. 364.

[xlix] BLOCH, préc. note 26, emplacement 4601 à 4618.

[l] R. FITZ NEAL, Dialogus de Scaccario (Dialogue de l’Échiquier), 1177-1179, dans DOUGLAS et GREENAWAY, préc. note 45, p. 568.

[li] Id.

[lii] R. of WENDOVER’S, Flowers of History : The History of England from the Descent of the Saxons to A.D. 1235, vol. I, London, Henry G. Bohn, 1849, p. 338 ; E.A. FREEMAN, The Reign of William Rufus and the Accession of Henry the First, vol. 1, Oxford, Clarendon Press, 1882, p. 346 ; D.M. STENTON (éd.), The Earliest Lincolnshire Assize Rolls, 1202-1209, Lincoln, Lincoln Record Society, 1926, document numéro 404, p. 634 et 635.

[liii] Le BRETON, préc. note 48, p. 501.

[liv] BLOCH, préc. note 26, emplacements 7009 à 7028.

[lv] Le BRETON, préc. note 48, p. 368 et 369.

[lvi] BLOCH, préc. note 26, emplacements 13431 à 13454.

[lvii] LEGES HENRICI PRIMI, ou les Lois du roi Henri Ier, rédigées vers 1115, par J.L. Downer (éd.), Oxford, Special Edition, Sandpiper Books Ltd., 1996, p. 153.

[lviii] Id., p. 173.

[lix] S. CHURCH, King John And the Road to Magma Carta, New York, Basic Books, 2015, p. 115 ; J. FAVIER, Les Plantagenêts, Origines et destin d’un empire, XIe-XIVe siècles, Paris, Fayard, 2004, p. 664.

[lx] W.R.W. STEPHENS, The English Church from the Norman Conquest to the Accession of Edward I (1066-1272), New York, AMS Press, 1901, p. 212 ; WENDOVER’S, préc. note 52, vol. 2, p. 259 et 260.

[lxi] W. STUBBS (éd.), Chronicles and Memorials of Great Britain and Ireland during the Middle Ages, The Historical Collection of Walter of Coventry, The Crowland / Barnwell Chronicler, in Memoriale Fratris Walteri de Coventria, vol. 2, London, Longman and Co, Oxford, Parker and Co., Cambridge, MacMillan and Co., 1873, p. 219 et 220. Lire aussi D. JONES, Les Plantagenêts, Paris, Flammarion, 2015, p. 226.

[lxii] Lire le BRETON, préc. note 48, p. 371, ainsi que BLOCH, préc. note 26, emplacement 4639.

[lxiii] BARTLETT, préc. note 43, p. 316 et 317.

[lxiv] J. HATCHER, « English Serfdom and Villeinage : Towards a Reassessment », (1981) 90 Past and Present 3, p. 7.

[lxv] GLANVILLE, préc. note 44, p. 58. Lire également F. POLLOCK et F.W. MAITLAND, The History of English Law, Before the Time of Edward I, vol. 1, Cambridge, Cambridge University Press, 1895, p. 356 à 383.

[lxvi] J. Bart, Histoire du droit privé de la chute de l'Empire romain au XIXe siècle, Paris, collection Domat Droit privé, 1998, p. 245.

[lxvii] Pour l’Angleterre, lire BARTLETT, préc. note 43, p. 313.

[lxviii] Id., p. 161.

[lxix] W.A. MORRIS, «  The Office of Sheriff in the Early Norman Period », (1918) 33 English Historical Review 145, p. 170.

[lxx] LEGES HENRICI PRIMI, préc. note 57, p. 99, 101, 167 et 169. Lire également MORRIS, id., p. 158, 159 et surtout 173.

[lxxi] W.A. MORRIS, «  The Sheriffs and the Administrative System of Henry I », (1922) 37 English Historical Review 161, p. 161.

[lxxii] MORRIS, id., p. 163 à 172 ; J.S. GREEN, Henry I : King of England and Duke of Normandy, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 116.

[lxxiii] The inquest of sheriffs, 1170, DOUGLAS et GREENAWAY, préc. note 45, p. 470 à 472.

[lxxiv] The inquests of 1274-5 : the commission and the articles of 11 October 1274, H. ROTHWELL (éd.), English Historical Documents, vol. III (1189-1327), London, Routledge, réimpression 2002, p. 392 à 396.

[lxxv] J. Sabapathy, Officers and Accountability in Medieval England, 1170-1300, Oxford, Oxford University Press, 2014, p. 85. Lire aussi W.A. MORRIS, The Medieval Sheriff to 1300, Manchester, Manchester University Press, 1927.

[lxxvi] É. BOURGEOIS, Le capitulaire de Kiersy-sur-Oise (877) : Étude sur l’État et le régime politique de la société carolingienne à la fin du IXe siècle d’après la législation de Charles le Chauve, Paris, Librairie Hachette, 1885, p. 2.

[lxxvii] POLLOCK et MAITLAND, préc. note 65, p. 295 et 296.

[lxxviii] E.A. FREEMAN, préc. note 52, p. 280.

[lxxix] Id., p. 289 et s.

[lxxx] The Coronation Charter of Henry I (5 August 1100), dans DOUGLAS et GREENAWAY, préc. note 45, p. 433 ; The exaction of reasonnable aid, dans GLANVILLE, préc. note 44, p. 111 et 112.

[lxxxi] Magna Carta de 1215, préc. note 40, art. 2.

[lxxxii] C.H. CHAMBERS, A Treatise on Estates and Tenures, London, Butterworth and Son Imprimeurs, 1824, p. 189.

[lxxxiii] GLANVILLE, préc. note 44, p. 75, 76 et 79.

[lxxxiv] Id., p. 70, 71, 76 et 77. Lire aussi LEGES HENRICI PRIMI, préc. note 57, p. 225.

[lxxxv] BERMAN, préc. note 35, p. 465 ; Y. SASSIER, Royauté et idéologie au Moyen Âge, Bas-Empire, monde franc, France (IVe-XIIe siècle), Paris, Armand Colin, 2002, p. 182 et 197.

[lxxxvi] Le GOFF, préc. note 4, p. 72.

[lxxxvii] BLOCH, préc. note 26, emplacement 3703.

[lxxxviii] B. CARRUTHERS (éd.), The Anglo-Saxon Chronicle Illustrated and Annotated, Barnsley (South Yorkshire), CodaBooksd Ltd, 2014, années 1086, p. 252 et 253.

[lxxxix] Laws of William the Conqueror, art. 2, dans DOUGLAS et GREENAWAY, préc. note 45, p. 431.

[xc] A.J. ROBERTSON (éd.), Laws of the Kings of England from Edmund to Henry I, Cambridge, Cambridge University Press, 1925, ouvrage réimprimé en 2009, p. 12 et 13.

[xci] Art. 6 des Assises de Northampton (1176), dans DOUGLAS et GREENAWAY, préc. note 45, p. 445.

[xcii] On king John’s coronation, 25 mai 1215, WENDOVER’S, préc. note 52, vol. 2, p. 180 à 182. La prestation de serment a cependant eu lieu le lendemain du couronnement. Lire également M. AURELL, L’Empire des Plantagenêts, 1154-1224, Paris, Perrin, 2003, p. 136.

[xciii] LEGES HENRICI PRIMI, préc. note 57, p. 173.

[xciv] Ibid.

[xcv] Le BRETON, préc. note 48, p. 2 ; H. de BRACTON, De Legibus et Consuetudinibus Angliae, vol. 2, Samuel H. Thorne (trad.), London, G. E. Woodbine, 1968–77, p. 33.

[xcvi] Supra, note 89 et le texte l’accompagnant.

[xcvii] R.C. VAN CAENEGEM, The Birth of the English Common Law, 2e éd., Cambridge, Cambridge University Press, 1988, p. 1 à 28.

[xcviii] DOUGLAS et GREENAWAY, General Introduction, préc. note 45, p. 22 ; MORRIS, préc. note 46, p. 320 à 322.

[xcix] STUBBS, The Constitutional History of England and its Origin and Development, vol. 1, London, Clarendon Press, 1883, p. 382 et 383 ; G.H. WHITE, « The Household of the Norman King », Trans. R. Hist. Soc., 4e série, XXX, 1948, p. 127 à 155.

[c] The Establishment of the King’s Household (Constitutio Domus Regis), 1135 ou 1136, DOUGLAS et GREENAWAY, préc. note 45, p. 454 à 460. 

[ci] The Assize of Arms, 1181, DOUGLAS et GREENAWAY, id., p. 449.

[cii] FLORI, Richard Cœur de Lion ; le roi chevalier, Paris, Éditions Payot & Rivages, 1999, p. 279.

[ciii] Voir, par exemple, An Early enfeoffment of a knight by Gilbert, abbot of Westminster, 1083, dans DOUGLAS et GREENAWAY, préc. note 45, p. 960 et 961. Lire aussi BERMAN, préc. note 35, p. 302.

[civ] FLORI, préc. note 102, p. 272 et 273.

[cv] Concile du Latran I, dans G. ALBERIGO, Les conciles œcuméniques ; Les décrets, Tome II-1 (Nicée I à Latran V), Paris Éditions du Cerf, 1994, p. 423.

[cvi] C.J. HÉFÉLÉ, Histoire des conciles d’après les documents originaux, tome 4, deuxième partie, Dom. H. Leclercq (trad.), Paris, Letouzey et Ané, éditeurs, 1911, p. 869 et 870, note infrapaginale 2, puis p. 960.

[cvii] E. SEMICHON, La paix et la trêve de Dieu ; histoire des premiers développements du tiers-État par l’Église et les associations, Paris, Didier et Cie, libraires, 1857, p. 138.

[cviii] The Laws of Edward the Confessor, dans B.R. O’BRIEN, God’s Peace and King’s Peace : The Laws of Edward the Confessor, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1999, p. 159 à 161.

[cix] Laws of William the Conqueror, art. 7, préc. note 89, p. 432.

[cx] H.E.J. COWDREY, « The Peace and the Truce of God in the Eleventh Century », (1970) 46 Past and Present 42, p. 42 à 67.

[cxi] HÉFÉLÉ, préc. note 106, p. 960.

[cxii] FLORI, préc. note 102, p. 288 et 289. Lire également, entre autres ouvrages, D. BARTHELEMY, An Mil et la Paix de Dieu : la France chrétienne, Paris, Fayard, 1999.

[cxiii] G. de MONTMOUTH, Histoire des rois de Bretagne, L. Mathey-Maille (trad.), Paris, Les Belles Lettres, 1992.

[cxiv] Id., p. 206, 211 et 253.

[cxv] WACE, Roman de Brut, 1155, réimprimé avec un commentaire par Le Roux de Lincy, 2 tomes, Rouan, Édouard Frère éditeur, 1836 et 1838.

[cxvi] Id., tome 2, p. 74 et 75 (vers 9993 à 1003), puis p. 165 pour un commentaire.

[cxvii] U. von ZATZIKHOVEN, Lanzelet, René Pérennec (trad.), Grenoble, Éditions littéraires et linguistiques de l'université de Grenoble, bilingue, 2004, p. 427.

[cxviii] FLORI, préc. note 102, p. 295 et 296.

[cxix] C. WARREN HOLLISTER, « The significance of Scutage Rate in Eleventh- and Twelfth-Century England », (1960) 75 English Historical Review 577.

[cxx] POLLOCK et MAITLAND, préc. note 65, p. 262 et 263.

[cxxi] La coutume de substituer un impôt d’écuage au service militaire sera confirmée par Henri II d’Angleterre en 1157 : R. HOWLETT (éd. ), Chronicles of the Reigns of Stephen, Henry II, and Richard I, vol. 4 (The Chronicles of Robert of Torigny, abbot of the Monastery of St. Michael-in-Peril-of-the-Sea), London, Eyre and Spottiswoode, imprimeurs de la reine, 1889, p. 193. Lire également W.A. MORRIS, « A Mention of Scutage in the Year 1100 », (1921) 36 English Historical Review 45.

[cxxii] WARREN HOLLISTER, préc. note 119, p. 587 et 588.

[cxxiii] Deux ans plus tard, Henri II a manifesté sa préférence pour l’écuage au lieu du service militaire : HOWLETT, préc note 121, p. 202.

[cxxiv] H.M. CHEW, « Scutage Under Edward I », (1922) 37 English Historical Review 321, p. 324 ; C. DYER, Making a Linving in the Middle Ages : the People of Britain 850-1520, London, Yale University Press, 2002, p. 109.

[cxxv] Lire, notamment, Return (carta) of Roger, archbishop of York, dans DOUGLAS et GREENAWAY, préc. note 45, p. 971 et 972.

[cxxvi] BARTLETT, préc. note 43, p. 164.

[cxxvii] J. HARWOOD, The History of Market Harborough :Witah that Portion of the Hundred of Gartree, Leicestershire, Leicester, Ward and Sons, 1875, p. 138.

[cxxviii] Statut de Quia emptores, (1290) 18 Edw. I.

[cxxix] In re Holliday, [1922] 2 Ch. 698 (j. Astbury).

[cxxx] BLOCH, préc. note 26, emplacements 6423 à 6441.

[cxxxi] DYER, préc. note 124, p. 148 et 149.

[cxxxii] BLOCH, préc. note 26, emplacements 6475 à 6495.

[cxxxiii] Art. IV de la Loi abolissant les tenures (An Act taking away the Court of Wards and Liveries and Tenures in Capite and by Knight’s Service and Purveyance, and for settling a Revenue upon his Majesty in Lieu thereof), (1660) 12 Cha. 2, c. 24.

[cxxxiv] J.E.C. BRIERLY, « The Co-existence of Legal Systems in Quebec : Free and Common Socage in Canada’s Pays de droit civil », (1979) 20 Cahiers de droit 277, p. 279 et 280.

[cxxxv] Loi abolissant les tenures, préc. note 130, art. XIV.

[cxxxvi] HINDE, préc. note 47.

[cxxxvii] HINDE, id., p. 39 à 41 et 44 ; DYER, préc. note 124, p. 271 et 272.

[cxxxviii] HINDE, id., p. 64 et 180. Lire aussi DYER, id., p. 274 et 275.

[cxxxix] P. POBST, « Should We Teach that the Cause of the Black Death Was Bubonic Plague ? », (2013) 10 History Compass 808-820.

[cxl] J.L. KOOL, « Risk of Person to Person Transmission of Bubonic Plague », (2005) 40 Clinical Infectious Diseases 1166, p. 1167.

[cxli] DYER, préc. note 124, p. 278 et 279.

[cxlii] Décret des laboureurs (Ordinance of Labourers), (1349) 23 Edw. 3, c. 1 ; Statut sur les laboureurs (Statute of Labourers), (1351) 25 Edw. 3, stat. 1.

[cxliii] Rotuli Parliamentarum, vol. 2, Londres, 1767-1777, p. 278 et 279, 279, 296, 307, 312, 319, 320, 340 et 341.

[cxliv] W. COBBETT (éd.), The Parliamentary History of England from the Earliest Period to the Year 1803 (35 volumes), vol. I (1066-1625), T.C. Hansard imprimeur, London, 1807, p. 163, 164, 169 et 243.

[cxlv] DYER, préc. note 124, p. 284.

[cxlvi] N. SAUL, Richard II, Londres, Yale University Press, 1997, p. 60 et 61.

[cxlvii] Anonimalle Chronicle, compilation en anglo-normand de divers textes relatifs à l'histoire de l'Angleterre, effectuée à l'abbaye Sainte-Marie d'York dans la seconde moitié du XIVᵉ siècle, en partie reproduits en traduction anglaise par C. Oman, The Great Revolt of 1381 , Oxford, Clarendon Press, 1906, surtout p. 197.

[cxlviii] Id., p. 198.

[cxlix] Id., p. 203 à 205.

[cl] Statut de Cambridge (Statute of Cambridge), (1388) 12 Rich. 2, c. 7.

[cli] DYER, préc. note 124, p. 291.

[clii] J.-P. GENET, Les îles britanniques au Moyen Âge, Paris, Hachette Supérieur, 2005, p. 200.

[cliii] Id., p. 201.

[cliv] Loi visant à soulager la pauvreté (The Poor Relief Act), (1601) 43 Eliz. 1, c. 2.

[clv] G. CORNU, Vocabulaire juridique, 10e éd. mise à jour, Paris, Quadridge, / PUF, 2014, p. 418, au mot État.

[clvi] G. ELTON, England Under the Tudor, London. Methuen, 1955, p. 420.

[clvii] Loi sur la suprématie (An Act concerning the King’s Highness to be Supreme Head of the Church of England, and to have Authority to redress all Errors, Heresies, and Abuses in the same), (1534) 26 Hen. 8, c. 1.

[clviii] AUTEUR INCONNU, A Discourse upon the Exposicion and Understandinge of Statutes, S.E. Thorne (éd.), Huntington Library, Sans Marino, 1942, p. 108.